Protéger le droit à l’avortement

No 17 - déc. 2006 / jan. 2007

Menaces sur la liberté des femmes

Protéger le droit à l’avortement

par Louise Boivin

Louise Boivin, Nathalie Parent

La présence d’un gouvernement conservateur à Ottawa et la montée de la droite religieuse et politique au Canada ne sont pas sans représenter des menaces pour la liberté des femmes à l’égard de la maternité et de l’avortement. La vigilance est de mise et nécessite la prise en compte du nouveau contexte politique et idéologique.

Le courant de conservatisme social et moral (anti-choix, anti-homosexuel, contre l’éducation sexuelle dans les écoles et pour la famille traditionnelle), qui a son antenne aux États-Unis et des tentacules dans des lobbys et des partis politiques au Canada, peut nous sembler inoffensif au Québec. Ici, le droit à l’avortement reçoit l’assentiment de la majorité de la population et le réseau de services d’avortement est le meilleur au Canada et parmi les meilleurs au monde. Il faut toutefois éviter de s’asseoir sur nos lauriers. D’une part, comme l’a illustré le jugement Bénard à la suite d’un recours collectif, en septembre 2006, il existe un problème d’accès aux services publics d’avortement, lié à l’insuffisance des investissements gouvernementaux. Le jugement en lui-même a constitué un gain pour les femmes, car il leur a reconnu le droit de se faire rembourser les frais d’environ 300 $ qu’elles ont dû payer en recourant aux services de cliniques privées pour un avortement.

D’autre part, le courant du conservatisme moral et social a aussi ses adeptes au Québec, comme l’a souligné Louise Desmarais, auteure du livre Mémoires d’une bataille inachevée. La lutte pour le droit à l’avortement au Québec, lors d’une journée de réflexion sur la montée de la droite, tenue en mars 2006. Les conservateurs moraux et sociaux se retrouvent en particulier au sein de la droite catholique conservatrice et des chrétiens évangéliques ou pentecôtistes, qui se multiplient au Québec. « Ils ne s’affichent pas lors de manifestations et d’événements publics, mais leur influence se fait sentir, que ce soit en tant que parents et citoyens, dans les instances décisionnelles, tels les conseils d’établissement des écoles, les municipalités, les établissements de santé. Ils votent également aux élections et font élire des députés conservateurs », explique Louise Desmarais.

De plus, le moralisme prend parfois des teintes plus subtiles au Québec, mais porte néanmoins atteinte à l’autonomie des femmes. On le retrouve en particulier dans les médias qui manient de façon sensationnaliste et moraliste les statistiques sur le nombre d’avortements. Du coup, ils culpabilisent les femmes qui avortent plutôt que d’analyser les conditions sociales dans lesquelles se pose la question d’avoir ou non des enfants. Cette nouvelle forme d’infantilisation des femmes se combine au discours nataliste, qui a la cote au Québec.

Anti-choix à Ottawa

Dans un avenir prochain, des mesures législatives (ou d’un autre type) décidées au niveau fédéral pourraient restreindre le libre choix des Québécoises et des Canadiennes en matière d’avortement, surtout si le gouvernement conservateur est réélu. C’est uniquement pour la durée du présent mandat que le premier ministre Harper a sommé ses troupes de ne pas intervenir sur la question de l’avortement. La plate-forme du parti indique qu’ « un gouvernement conservateur ne présentera pas et ne soutiendra pas de mesure législative sur l’avortement ». Des députés anti-choix ont néanmoins formé un Caucus pro-vie. Ce sont des conservateurs, mais aussi certains libéraux (21 % des députés libéraux et 63 % des conservateurs seraient anti-choix, selon une étude de la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada). De plus, deux projets de loi privés anti-choix ont été déposés depuis mai 2006, l’un conservateur et l’autre libéral…

Le premier projet de loi privé depuis l’élection du gouvernement conservateur, le C-291, a été déposé le 17 mai par un député albertain, Léon Benoit. Il s’est appuyé sur la récupération politique du sentiment populaire d’injustice à la suite de l’assassinat d’une femme enceinte. Le projet de loi visait à accorder des droits au fœtus afin d’établir le délit de double-meurtre dans la loi. En 2004, à la suite d’un événement dramatique similaire, le président Bush avait fait adopter une loi semblable au projet C-291, la Loi sur la violence aux victimes « non-nées » (Unborn Victims of Violence Act). En août 2006, le Comité parlementaire canadien sur la procédure a décidé de retirer le projet de loi C-291 après avoir reçu une lettre du ministre de la Justice, Vic Toews, reconnu pour son conservatisme moral. Dans sa lettre, dont Le Devoir a obtenu copie (10-08-06), il n’invoque pas l’impact négatif de C-291 sur le droit à l’avortement. Il a plutôt invoqué le fait qu’on ne pouvait parler d’« intention coupable » quand le meurtrier ignorait que la victime était enceinte. De cette façon, il ménageait son électorat en évitant de faire du bruit au sujet de l’avortement dans le présent mandat.

Le 21 juin dernier, un autre projet de loi privé, le C-338 (modifiant le Code criminel afin d’interdire de procurer un avortement après 20 semaines de gestation) est déposé par le député libéral ontarien Paul Steckle, militant actif du Caucus pro-vie. Ce projet de loi propose que toute personne procurant ou permettant un avortement après 20 semaines de gestation soit reconnue comme ayant commis un acte criminel et qu’elle soit passible d’un emprisonnement minimal de cinq ans. Il prévoit une exception si la vie ou la santé de la mère est en danger. Ce projet de loi accorde un statut d’enfant au fœtus encore dans le ventre de sa mère. Il poserait une première limite à l’avortement et pourrait aussi ouvrir la porte à toute une série d’autres restrictions. De plus, il est le tout premier projet de loi déposé par un député visant directement la recriminalisation de l’avortement depuis la dernière tentative en ce sens, menée par un gouvernement conservateur en 1989. Le gouvernement Harper évitera-t-il à nouveau que soit présenté ce projet de loi en deuxième lecture pour éviter le débat dans son actuel mandat, même s’il s’agit du projet privé d’un libéral ? Probablement, mais la vigilance est de mise.

Dans ce contexte où les menaces au libre choix en matière d’avortement augmentent, la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) a décidé de mettre sur pied le Réseau de veille pro-choix, composé de personnes et de groupes pro-choix qui souhaitent être en lien, s’informer mutuellement des menaces existantes et, au besoin, se mobiliser.

Fédération du Québec pour le planning des naissances

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