Amazon, derrière l’écran

No 54 - avril / mai 2014

Jean-Baptiste Malet

Amazon, derrière l’écran

Rémi Leroux

Jean-Baptiste Malet, En Amazonie – infiltré dans le « meilleur des mondes », Paris, Éditions Fayard, 2013.

« Work hard, have fun, make history ! » La devise d’Amazon

Un journaliste français a passé plusieurs semaines infiltré dans l’un des immenses entrepôts logistiques du géant mondial du commerce en ligne Amazon. Il raconte ce qui se passe après le clic de votre souris qui vient de confirmer votre commande de Noël.

« Grâce au système de gestion totalement informatisé, chaque supérieur hiérarchique sait en temps réel quel article un packeur est en train d’emballer, ou quel produit un pickeur est en train de prélever, mais aussi dans quelle zone de rayonnages il se trouve, à quel rythme il travaille, ou quels sont les temps de pause suspects. Il peut dès lors calculer sa productivité et déduire de ces chiffres de nombreuses informations. » Bienvenue en « Amazonie », royaume du géant mondial du commerce en ligne qui chaque jour « réinvente le stakhanovisme et la délation sympathiques » !

Le journaliste français Jean-Baptiste Malet a passé incognito plusieurs semaines dans un entrepôt d’Amazon à Montélimar, dans le sud de la France, au moment des fêtes de Noël en 2012. Une période de l’année où le géant du commerce en ligne recrute des milliers de travailleurs et travailleuses intérimaires qui l’aident à réaliser plus des deux tiers de son chiffre d’affaires annuel. Le journaliste témoigne de ce que sont les conditions de travail de milliers de salarié·e·s qui triment nuit et jour pour livrer aux clients d’Amazon leurs colis en un temps record. Dans les 36 000 m2 de l’entrepôt de Montélimar, un pickeur marche, chaque nuit ou jour de travail, l’équivalent d’un semi-marathon. Vingt et une bornes…

Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, Jean-Baptiste Malet explique qu’Amazon a mis en place « une organisation du travail qui n’est pas simplement celle du taylorisme ou du fordisme », mais qu’elle « inclut toutes les potentialités d’Internet et fournit des outils de contrôle de productivité parfaitement inédits ». Dans ces usines géantes qui produisent du colis, des tonnes et des tonnes de colis, les humains sont pilotés par ordinateur. Équipés de scans wifi utilisés pour prélever les produits, les marcheurs d’Amazon sont « tracés » par leurs supérieurs qui détectent en temps réel sur leurs moniteurs le moindre écart ou coup de mou suspect. Malgré des moyens de contrôles ultramodernes, Jean-Baptiste Malet décrit des conditions de travail « dignes du XIXe siècle ». Après 42 heures nocturnes par semaine, les salarié·e·s ressortent des rayonnages lessivés, hagards et parfaitement déconnectés du monde réel. Sans parler des systèmes de contrôle et de vidéosurveillance, de la quasi-inexistence de représentation syndicale ou encore de l’interdiction qui est faite aux salarié·e·s de parler de leur travail à l’extérieur de l’entreprise…

Un mastodonte appelé à grossir encore

Ce modèle économique impitoyable sert une entreprise démesurée qui a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 74,45 milliards de dollars, en croissance de 22 % par rapport à 2012 (61,09 milliards de dollars). Malgré cela, Amazon bénéficie de financements publics pour implanter ses nouveaux entrepôts aux quatre coins de la planète et fait la nique aux services fiscaux en ne payant quasiment aucun impôt sur ses bénéfices. En France, par exemple, le fisc réclame à l’entreprise environ 300 millions de dollars… une bagatelle. Sans oublier l’impact du commerce en ligne sur l’économie de « brique et de mortier », en particulier les libraires qu’Amazon assomme à chaque clic de souris.

Pis, dans une note d’analyse de 2012, la banque Morgan Stanley estimait que le potentiel d’Amazon était gigantesque au regard de son réseau mondial de plateformes logistiques, mais également de sa capacité à baisser encore davantage ses coûts fixes, à améliorer ses marges et à capter de nouvelles parts de marché. Et prévoyait que cette part de marché pourrait atteindre près de 24 % en 2016, contre 14 % fin 2012. Il n’est malheureusement pas question de déforestation en Amazonie.

Mis en regard des conditions de travail décrites par le journaliste français, ces chiffres donnent la nausée. Remontent alors à la surface les propos d’un collègue de travail intérimaire de Jean-Baptiste Malet, Mounir : « Ce boulot chez Amazon, faut dire la vérité comme elle est, quoi… c’est de la merde. »

Ironie de l’histoire, en tapant le nom de l’ouvrage de Jean-Baptiste Malet sur Internet, la première occurrence renvoie sans surprise vers… Amazon, qui vous propose d’acheter le livre en trois clics. À l’émission de radio de France Inter Là-bas si j’y suis en novembre dernier, le journaliste affirmait en outre avoir emballé lui-même « énormément  » de livres critiquant le capitalisme ou prônant la démondialisation, la décroissance… De quoi nous faire réfléchir sur nos habitudes de consommation.

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