Mercenaires des pharmaceutiques ?

No 50 - été 2013

Les universitaires

Mercenaires des pharmaceutiques ?

Santé

Daniel Chapdelaine

L’industrie pharmaceutique des médicaments d’origine vit des changements importants ces dernières années. En effet, les brevets de plusieurs produits vedettes sont échus ou en voie de l’être d’ici quatre à cinq ans. L’industrie appelle ça la falaise des brevets (patent cliff). Les fabricants de génériques pourront donc commercialiser des copies à moindre coût, ce qui représente une économie pour les régimes d’assurances, publics comme privés, et on peut collectivement s’en réjouir.

Pour l’industrie des médicaments d’origine par contre, cela se traduit par des pertes de revenus considérables : pour pouvoir exiger des prix faramineux, elles doivent inventer de nouveaux produits, les breveter et surtout, démontrer que ceux-ci apportent un avantage réel par rapport aux produits déjà existants. Mais voilà, l’industrie a généré très peu d’innovations à ce chapitre ces dix ou quinze dernières années. Il faut se rappeler que la mise au point d’un nouveau composé théra­peutique nécessite entre cinq et dix ans et des dizai­nes de millions de dollars en investissement, depuis le laboratoire de chimie jusqu’aux études cliniques.

Cela dit, la patience des investisseurs a ses limites et la recherche et développement (R et D) est en déclin, particulièrement dans les pays où les chercheurs sont bien payés, ce qui est le cas du Québec. En effet, on assiste depuis dix ans à la fermeture de tous les grands laboratoires de R et D pharmaceutiques du Grand Montréal : Biochem Pharma, Bristol-Myers-Squibb, Merck Frosst, Wyeth-Ayerst, Boehringer et Astra Zeneca pour ne nommer que ceux-là. Ce sont des milliers d’emplois de chercheures qui ont donc disparu et Montréal ne peut plus vraiment se targuer d’être un joyau de la R et D pharmaceutique aujourd’hui.

Partenariats public-privé à la rescousse

Parmi les raisons qui expliquent le manque d’innovations pharmaceutiques des dernières années, on peut invoquer que les cibles thérapeutiques « faciles » ont été exploitées et que les problèmes auxquels il faut s’attaquer pour mettre au point des traitements thérapeutiques « faciles » ont été exploitées et que les problèmes auxquels il faut s’attaquer pour mettre au point des traitements vraiment avantageux sont très complexes. S’il est vrai que l’on doit se réjouir de pouvoir traiter les principaux malaises avec des composés génériques, il reste que l’innovation est toujours nécessaire pour de nouveaux traitements contre les cancers, les virus et les maladies neurodégénératives, par exemple. Le gouvernement du Québec, ne voulant pas laisser couler à pic le prestigieux domaine d’activité de la recherche pharmaceutique, est en train de mettre en place un nouveau modèle de développement en partenariat avec l’industrie et les universités [1]. Le gouvernement dépense 125 millions $, l’industrie investit aussi des dizaines de millions (encouragée par le crédit d’impôt qui est passé de 18 à 28 % en 2012), et la recherche se fait… à l’université !

Ce partenariat public-privé encensé par plusieurs mérite toutefois certains bémols. Certes, les chercheurs universitaires ont souvent de bonnes idées. Certes, ils manquent de fonds pour les concrétiser, surtout que les fonds de recherches des organismes de subvention (fédéral, provincial) sont en stagnation depuis des années. Mais comment se réjouir du fait que le travail de recherche qui générait auparavant de nombreux emplois directs et indirects va maintenant à peine permettre la survivance de quelques étudiantes de maîtrise et de doctorat dans nos universités ? Quelles seront les perspectives d’emploi pour ces jeunes chercheures une fois le cheap labor achevé, je veux dire, le diplôme en main ? Quelle pérennité pour ce financement ? Qu’en sera-t-il de la propriété intellectuelle ? Les universités sauront-elles obtenir des fonds de nature plus structurante ou seulement des « contrats » qui profitent peut-être à un laboratoire en son sein, mais laissant les coûts d’infrastructures aux frais, vous l’aurez deviné, de la collectivité ?

Une fois qu’on a compris que les «  Big Pharmas » ne veulent plus prendre les risques liés à la R et D, se délestant des immobilisations, des engagements salariaux et autres, on devrait se demander pourquoi les universités, et les contribuables par ricochet, devraient assumer ces risques. À moins que la collectivité en retire aussi les bénéfices. Mais en cette matière, si le passé est garant de l’avenir, ce partenariat public-privé risque d’être plutôt asymétrique : les risques pour le public, les profits pour le privé ! On se rappellera l’histoire de Biochem Pharma qui, au lieu de développer son traitement anti-VIH sensationnel, a plutôt préféré se fondre dans la géante britannique Shire au tournant des années 2000. Les dirigeants de Biochem s’en sont mis plein les poches avec cette transaction de cinq milliards de dollars.

On devra donc surveiller de près ce qui adviendra des investissements (largement) publics qui sont faits du côté de l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie (IRIC, rattaché à l’Université de Montréal), qui a récemment annoncé un partenariat de plusieurs millions de dollars avec Bristol-Myers Squibb pour le développement de nouveaux anticancéreux [2]. Quoique pour l’instant, les détails sont confidentiels…

Espérons que les ententes conclues dans ce type de partenariat seront équitables pour la collectivité, mais aussi que celles-ci auront un effet structurant sur ce domaine d’activité économique important que représente la recherche pharmaceutique au Québec. Enfin, considérant que les fonds publics de recherche sont de plus en plus difficiles à obtenir, les modes de financement passant par l’industrie risquent de créer des distorsions quant aux objets de la recherche. En somme, une question qui devrait être cruciale pour les professeurs, les étudiants et l’université : les projets cofinancés auront-ils un intérêt académique ou transformeront-ils simplement les universitaires en mercenaires pharmaceutiques ?


[1Pierre Théroux, « Un autre modèle pour la R-D », Les Affaires, 2 février 2013.

[2Martin Primeau, « Entente pour deux médicaments en développement à Montréal », La Presse, 7 février 2013.

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