Préserver nos services publics

No 49 - avril / mai 2013

Travail

Préserver nos services publics

Une alternative syndicale

Hubert Forcier

Le discours sur la fragilité des finances publiques occupe un espace déterminant dans le débat public. Il vise souvent la proportion qu’occupe le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), s’inquiétant de l’augmentation qualifiée d’incontrôlable des dépenses de ce poste budgétaire. Ce discours influence la population en faveur de la privatisation, en s’appuyant sur une phobie de la dette publique, sur l’angoisse fiscale des mieux nantis et sur l’affirmation que le privé sait faire mieux et moins cher que les services publics.

Pour la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), il est nécessaire de s’attaquer à ce discours en le prenant de front, ce qu’elle contribue à faire avec sa lutte pour la valorisation, la promotion et la préservation (VPP) des services publics. Il faut rallier la population derrière les services publics en démontrant les bienfaits économiques et sociaux de ceux-ci pour notre société, tout en cherchant des alternatives fiscales pour que l’État augmente ses revenus. Mais il faut aussi s’investir dans nos milieux de travail pour bloquer un à un les projets de privatisation en élaborant des alternatives publiques qui conservent les emplois tout en permettant d’offrir des services de meilleure qualité à la population.

Les données sont nombreuses pour démontrer les dangers que la privatisation représente pour notre société. En effet, nombre d’analyses expliquent le lien de cause à effet qui existe entre privatisation et diminution de la qualité des services, augmentation des coûts et augmentation de la corruption [1]. Ce n’est donc pas tant les données qui manquent, mais bien les moyens pour nous en convaincre. À ce compte, la lecture du récent ouvrage d’Alain Vadeboncoeur [2], sur les impacts désastreux du recours au privé en santé, est un exemple frappant de l’abondance des faits permettant de défendre les services publics. La vision en faveur de la privatisation compte sur des moyens (politiques, économiques, médiatiques) que nous ne possédons pas. C’est pourquoi nous devons miser sur l’élaboration d’un contre-discours et sur la formation politique pour rallier la population. Pour paraphraser Marcel Pepin, bien que nous ayons raison, nous devons tout faire pour avoir la force d’avoir raison, et sur ce terrain, seul le poids du nombre nous le permettra.

En parallèle à cette bataille des esprits, des actions concrètes sont entreprises par les syndicats affiliés à la FSSS-CSN. L’objectif est clair : opposer aux projets de privatisation une alternative publique compétitive tant sur le plan financier que sur le plan de la qualité des services. Et autant le dire tout de suite, lorsqu’on parvient à obtenir toutes les données nécessaires pour proposer une alternative, on réussit à tout coup à conserver nos services publics ! En effet, un projet public bénéficie de trois avantages compétitifs considérables sur un projet de privatisation : l’absence de l’obligation de dégager une marge de profit, la disponibilité de l’expertise et de meilleures conditions de financement. Ces trois avantages bénéficient à l’ensemble de la population, contrairement à ceux de la privatisation, qui profitent surtout aux intérêts privés.

Mirages de la sous-traitance

De nombreux cas de privatisation dans le réseau concernent l’approvisionnement, l’entretien et la maintenance des installations. Pour l’employeur, il s’agit de se débarrasser de la gestion de services considérés comme non essentiels, pour se concentrer sur le « core business ». Une telle vision réduit la portée des services publics dans notre société. Par exemple, on sait que la qualité de la nourriture a un impact direct sur le temps que les patientes et patients passent à l’hôpital [3]. Conserver la cuisine au public, c’est donc aussi garder le contrôle sur la qualité de la nourriture que l’on sert aux patientes et ainsi diminuer les dépenses de l’établissement. On peut aussi penser à l’entretien des établissements publics. À l’aide des données compilées par le syndicat des employées du CHUM, on a su démontrer que le recours à de la main-d’œuvre privée coûte plus du double pour les établissements. Par exemple, un menuisier en sous-traitance coûte 98,8 % plus cher qu’un menuisier au service du réseau. En faisant le calcul seulement pour cinq corps de métier et une période de deux ans, on apprend que le supplément déboursé par le CHUM pour ne pas avoir fait effectuer les travaux par ses propres employées se chiffre à plus de 1,8 million de dollars. Ainsi, lorsque l’on sait que le fait de passer au privé occasionne la plupart du temps une augmentation des coûts – les coûts administratifs en tous les cas –, ce qui apparaît à court terme pour l’employeur comme une économie représente en réalité des augmentations de coût que nous finançons par nos impôts, pour les allouer au privé par la suite !

Pour la FSSS-CSN, ce qui apparaît le plus urgent dans le réseau de la santé et des services sociaux, c’est de préserver les services publics et ainsi le bien commun. C’est la meilleure façon de maintenir des emplois de qualité et, par voie de conséquence, de travailler à diminuer les inégalités sociales, tout en offrant des services de qualité à la population. Les alternatives publiques que nous avons élaborées ont aussi permis aux travailleuses et travailleurs d’exercer un plus grand contrôle sur leur milieu de travail. En s’impliquant pour préserver les services publics, ils et elles prennent conscience de leur expertise et de leur importance dans les services qui sont donnés à la population. En somme, faire reculer la privatisation demande que l’on prenne notre place. Si nous ne le faisons pas, nous ne devons pas compter sur d’autres pour le faire pour nous.


[1Eduardo Porter, « Health Care and Profits, a Poor Mix », The New York Times, 8 janvier 2013 ; Christian Rioux, « Quand l’État providence périclite, les organisations criminelles prolifèrent », Le Devoir, 19 janvier 2013.

[2Privé de soins, Lux éditeur, Montréal, 2012.

[3À ce sujet, voir entre autres BAPEN, « Hospital Food as Treatment », 21 décembre 2012. Disponible en ligne à http://www.bapen.org.uk/ ; et J.S.A Edwards et H.J. Hartwell, « Hospital Food Service : a comparative analysis of systems and introducing the « Steamplicity » concept », 2006. Disponible en ligne à http://eprints.bournemouth.ac.uk/.

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