L’intérêt public ou l’enveloppe ?

No 48 - février / mars 2013

Affaires publiques

L’intérêt public ou l’enveloppe ?

François Doyon

Posez-vous la question : si vous étiez absolument certain de pouvoir accepter une grosse enveloppe brune pleine de billets de cent dollars sans que personne ne le sache jamais, l’accepteriez-vous en échange d’un service contraire aux règles ? J’ai posé la question en classe à mes étudiantEs du niveau collégial et la très grande majorité a avoué qu’elle serait prête à se laisser corrompre sans hésiter. C’est là un triste constat, mais c’est peut-être un signe que la croyance en la capacité de l’être humain d’être désintéressé relève de la chimère.

Il faut être dupe pour ne pas voir que nos dirigeants sont eux-mêmes esclaves d’une soif de pouvoir et de richesse inextinguible qui les rend inaptes à faire passer l’intérêt public devant le leur. Les anciens maires de Montréal et de Laval en sont des exemples et bien d’autres encore seront révélés par la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. En des temps où le Québec semble rongé de toutes parts par la corruption de sa classe politique, à qui jeter la première pierre ?

L’analyse individualiste

Aux crapules, répondrez-vous d’instinct. En effet, le premier réflexe est de mettre le blâme sur les personnes dénoncées dans le cadre de la Commission, ce qui, dans une certaine mesure, n’est pas une totale aberration. La malhonnêteté existe bel et bien ! On pourrait donc croire que si nous éliminons les pommes pourries et valorisons l’honnêteté, la corruption sera éradiquée autant que possible.

C’est là ce qu’on pourrait appeler l’analyse individualiste du problème de la corruption : on repère la personne corrompue, on l’élimine et le problème est censé se résoudre. Pour éviter que les pommes ne pourrissent à nouveau, il faudrait que la société tout entière valorise l’honnêteté et qu’on enseigne aux jeunes à croire que la justice est un bien en soi. Un bon citoyen ou une bonne citoyenne devrait vouloir être juste sans devoir être motivé par autre chose que la volonté de bien faire.

L’analyse institutionnelle

Il suffirait alors de nous débarrasser des pommes pourries et de donner des cours d’éthique ? L’analyse individualiste est incomplète. Il faut aussi tenir compte des incitatifs engendrés par la structure même de nos institutions politiques, incitatifs qui sont à l’origine de tentations plus fortes que la volon­té du commun des mortels. C’est peut-être le panier lui-même qui fait pourrir les pommes, au fur et à mesure qu’elles sont déposées dedans.

Notre comportement est en grande partie influencé par les circonstances. Par exemple, c’est l’exigence de compétitivité inhérente à notre système économique qui pousse les dirigeants d’entreprises à agir de façon monstrueuse. C’est ce qui incite les gestionnaires à considérer chaque poste comme une boîte, sans penser à la personne qui s’y trouve ni aux enfants qu’elle doit nourrir : si l’entreprise n’a plus besoin de la boîte, le gestionnaire l’envoie au recyclage. Le gestionnaire n’est pas nécessairement une mauvaise personne pour autant ; c’est peut-être même un bon parent ou un ami loyal. Cependant, il fait partie d’un système qui exige de lui qu’il se comporte froidement au travail, sinon il va perdre sa place avantageuse. Les bien-pensants diront que sa conscience devrait le rendre incapable de faire ce genre de travail et le pousser à démissionner pour faire autre chose dans la vie. Mais sa position dans le système lui offre assez d’avantages pour étouffer la voix de sa conscience.

Il en est de même pour les hommes politiques qui évoluent, comme c’est le cas au Québec, au sein d’institutions où il est possible de se faire réélire indéfiniment, où la limite permise de dons à une formation politique est élevée et où les campagnes électorales sont extrêmement coûteuses. La structure de nos institutions accroît leur soif de pouvoir et les incite à accepter de l’argent quelle qu’en soit la provenance. Ils en ont tant besoin pour se faire réélire et ils espèrent se faire réélire tellement de fois… La corruption a trouvé son point d’entrée.

De nouvelles institutions

Un législateur prudent devrait se fonder sur le principe selon lequel les humains ne font jamais rien de façon purement désintéressée. Il ne faut pas espérer trouver un politicien qui s’est lancé en politique sans aucun motif égoïste. Une fois qu’une personne a goûté au pouvoir, il lui devient très difficile de s’en passer. De bonnes institutions politiques devraient être capables de contenir les tendances égoïstes de l’être humain en éliminant la possibilité même de s’accrocher au pouvoir.

Même les meilleures intentions peuvent être noyées dans un pot-de-vin. Ce sont parfois les lois qui font les criminels : la loi électorale du Québec en a déjà fait plusieurs. Le coût faramineux des campagnes électorales est en effet un puissant incitatif à la malhonnêteté. Les partis n’ont pas le choix de se tourner vers le monde des affaires pour trouver du financement. Les groupes criminalisés l’ont compris et se font facilement passer pour d’honorables et surtout généreux entrepreneurs.

Dans un tel contexte, quels changements devrions-nous apporter à la structure de nos insti­tutions politiques ? Il nous faut neutraliser la cupi­dité des hommes politiques en éliminant à la racine la possibilité de s’accrocher au pouvoir comme l’ont fait un Jean Charest ou un Gilles Vaillancourt. Pour ce faire, avant même de limiter les dons aux partis politiques ou de réduire les dépenses électorales, nous devons absolument réduire drastiquement la durée et le nombre des mandats de tous les postes élus du Québec. Répétons-le, ce sont les institutions, autrement dit le panier, qui font pourrir les pommes.

Il est certes important de repérer, de juger et de condamner les corrompus, mais ce n’est qu’une partie de la solution. Si l’on s’en tient à cela et que l’on n’améliore pas les structures de nos insti­tutions, les politiciens véreux seront indéfiniment remplacés par d’autres, exactement de la même manière que les petits revendeurs de drogue se font remplacer dans les bars d’une semaine à l’autre : c’est vider le pus d’une plaie sans jamais la désinfecter.

Casser le système

Il faut de bonnes lois pour inspirer la volonté politique nécessaire à une réforme des institutions, mais il faut de la volonté politique pour avoir de bonnes lois. Il est en effet difficile d’imaginer un gouvernement déposer un projet de loi interdisant sa réélection. On peine à croire qu’un politicien puisse vouloir une loi réduisant la durée de son mandat et diminuant la probabilité que son parti conserve le pouvoir aux prochaines élections. Les mercenaires que nous payons pour faire la politique à notre place tiennent à garder leur emploi aussi longtemps que possible.

La destruction de ce cercle vicieux va sans doute nécessiter une crise politique majeure, comme celle qui a secoué l’Islande en 2009. Les citoyenNEs devront mettre une pression énorme pour exiger une réforme de nos institutions politiques. À elles seules, les commissions d’enquête et la police ne risquent pas de perturber l’avenir des partis politiques qui font les lois à notre place. Quoi qu’il en soit, si l’on ne s’en tient qu’à une analyse individualiste du problème de la corruption sans améliorer nos institutions, il faudrait, pour prévenir les crimes, faire naître les citoyennes en prison.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème