Dossier : Le printemps érable (...)

Dossier : Le printemps érable - Ses racines et sa sève

« Faire » la grève : formes artistiques de résistances

Marie-Claude G. Olivier

Nous comptons déjà plus de cent manifestations nocturnes dans les rues de Montréal qu’on croirait silencieuses en raison de l’absence de couverture médiatique. C’est que sous la menace de l’application de « l’oie spéciale 78 », il peut en coûter cher à celles et ceux qui usent encore leurs casseroles. Pourtant, malgré la peur répressive et la lourdeur d’une présumée démobilisation, des centaines d’étudiantEs, de citoyenNEs, mais aussi d’artistes et d’activistes continuent de résister par des moyens artistico-politiques étonnants.

D’un point de vue sociologique, « l’art » – objet ou action, geste artistique conscient ou créativité débridée – peut être compris et théorisé comme un outil de transformation, voire d’émancipation sociale. En observant la diversité des formes de protestations qui émanent du contexte de la grève étudiante, on remarque que les manifestations artistiques suscitées par ces oppositions sont tout aussi variées. Il serait donc extrêmement réducteur de parler d’un « art de (la) grève » ou de la mobilisation artistique : attribuer aux œuvres la qualité d’être représentatives de l’ensemble d’un groupe, tel que le « bloc étudiant » ou encore l’ensemble de la société québécoise, consisterait non seulement à idéaliser ces œuvres, mais à dissoudre leur pouvoir singulier. En générant un lot d’actions et de créations artistiques hétéroclites, les collectifs tels que ARTUNG !, le P !NK BLOC de Montréal et Maille à part produisent de nouveaux motifs dans la toile récalcitrante de l’univers artistico-politique.

Une image vaut mille maux : quand l’art tisse des liens de solidarité

Nous n’avons qu’à observer la variété de pancartes produites au fil des semaines [1] pour comprendre sur quels fronts les étudiantEs, travailleuses et travailleurs, et citoyenNEs livrent bataille : on y dénonce le discours mensonger, paternaliste et méprisant de Jean Charest et de ses acolytes ; on s’oppose à la marchandisation de l’université et à l’élitisme ; on se dresse contre le Plan « Mort », contre la loi 78 (loi 12), contre la brutalité policière et contre le discours sur la violence construit par les médias de masse. C’est par un coup d’éclat que le collectif ARTUNG ! a également dénoncé ces aberrations politiques, en remplaçant 300 publicités par des œuvres d’art réalisées lors d’ateliers de créations ponctuels. Comme par magie, le matin du 21 mars, les activistes se sont réapproprié l’espace public en exposant littéralement, dans les supports publicitaires appartenant à Pattison, CBS Outdoor et Astral Media, diverses déclinaisons du carré rouge (voir cecinestpasunepub.net). Certaines affiches critiquaient même le mouvement étudiant de l’intérieur. Par exemple, une des images évoquait un « pompon », comme ceux utilisés par les membres du P !NK BLOC Montréal, un collectif queer et féministe qui valorise l’éclatement de la catégorie des « étudiantEs en grève ».

C’est parce qu’ils et elles refusent « les binarités rigides dans toutes leurs formes : femme/homme, casseu.ses.rs/pacifistes, étudiantEs/contribuables, jeunes/baby boomers » que les militantes et militants du P !NK BLOC Montréal ont organisé, le 15 juin dernier, l’événement « Genre de grève : manifestation travestie contre la répression/pour un accès gratuit ». Comme le veut la tactique du pink bloc [2], cette manifestation flamboyante visait à perturber tout en paillettes une lutte étudiante monolithique dans laquelle les féministes et LGBTQ sont trop peu visibles et ne se sentent pas représentés. En flirtant avec le milieu artistique par des manœuvres rappelant les performances de travestissement des artistes Cindy Sherman ou Kent Monkman, les militantEs du P !NK BLOC se ramifient à d’autres pratiques furtives, comme le tricot graffiti, jamais bien loin des pratiques d’art engagé.

Tandis que le tricot graffiti est devenu « lainage courant » en milieu urbain, ces manifestations tricotées sont autant d’apparats politiques que d’espaces de création propices aux discussions. Le temps d’une pelote de laine (rouge, bien sûr), nous pourrions déjà nous poser cette question d’intérêt public, à savoir « quand y a-t-il art ? » Le collectif Maille à part nous a surpris le 27 mars dernier en habillant de laine turquoise les trois statues de la Place Marguerite Bourgeois, sur lesquelles contrastait un carré rouge (voir mailleapart.blogspot.ca). Tissées à même la porosité « de l’art », justement, les créations et actions tel qu’observées à travers des groupes comme ARTUNG !, le P !NK BLOC ou Maille à part, sont autant de contributions qui renforcent le lien social. Dès lors, l’action directe devient une sorte de moment privilégié où des artistes, des activistes et des citoyenNEs sont liés par une démarche artistique, performative et surtout politique dans l’espace public. Si l’inspiration vous a conquis, n’hésitez pas à joindre le collectif tous les mercredis soirs au Parc Lafontaine, ou à fréquenter votre assemblée de quartier (plus de détails sur qpirgconcordia.org).


[1Imagerie d’un printemps érable, https://www.facebook.com/AffichesggiPosters

[2Un pink bloc est d’abord une tactique. À ce sujet, voir le texte « Cé quoi un pink bloc ? » publié par les Panthères Roses de Montréal : www.lespantheresroses.org/. Voir aussi pinkblocmontreal.wordpress.com

Thèmes de recherche Arts et culture, Mouvement étudiant
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