Charest : le désastre continue

No 15 - été 2006

Charest : le désastre continue

par Nicole de Sève

Nicole de Sève

Si le passé est garant de l’avenir, nous ne sommes pas au bout de nos peines avec le gouvernement Charest. Même si l’embellie dans les sondages liée à l’élection du gouvernement Harper s’effrite, il serait téméraire de sous-estimer que pour une fraction importante de la population québécoise, le renouvellement du fédéralisme dans le sens des aspirations historiques du Québec reste un rêve inachevé qui ne veut pas mourir.

Plusieurs dossiers litigieux entre le gouvernement fédéral et celui du Québec sont encore loin d’un règlement. Certes, le Québec a obtenu une place au sein de la délégation canadienne à l’UNESCO. Il pourra avoir accès à tous les documents, aux travaux des comités de travail et y faire valoir le point du vue du Québec. Mais au-delà de cette reconnaissance de sa « spécificité », de sa « personnalité unique » et de son « rôle particulier au niveau international », l’entente sur l’UNESCO se limite à un strapontin au sein de la délégation canadienne et non à un siège distinct comme celui obtenu au sein des institutions de la Francophonie. Son représentant relèvera de la délégation canadienne et Ottawa conserve son droit de veto s’il y a mésentente sur une question, même si cela concerne l’un ou l’autre des champs de compétence du Québec. Mince consolation, le Québec pourra refuser de mettre en œuvre les traités signés à l’UNESCO.

Quant au déséquilibre fiscal, tout ce que le gouvernement Charest a obtenu est la publication du document Rétablir l’équilibre fiscal au Canada, une feuille de route de 152 pages traçant le chemin à parcourir au cours de la prochaine année. Nous sommes loin d’engagements concrets et du versement d’espèces sonnantes et trébuchantes dans les coffres de l’État québécois, notamment en ce qui concerne l’enseignement supérieur que le fédéral souhaite toujours encadrer de normes nationales précises avec obligation de résultats.

Les intrusions fédérales dans les champs de compétence provinciale, et ce, au nom du pouvoir de dépenser, ne vont pas disparaître par enchantement comme l’illustre éloquemment le rejet de l’entente administrative Canada-Québec concernant l’apprentissage et la garde des jeunes enfants au profit du versement d’une somme de 1 200 $ aux parents.

Le refus de la délibération

Le gouvernement libéral ne semble pas retenir les leçons des trois dernières années, il persiste à lancer des projets et à faire adopter des législations qui heurtent de plein fouet une forte proportion de citoyennes et de citoyens. Il ne comprend pas qu’au Québec, il ne suffit pas de déclarer « avoir reçu un mandat clair de la population pour gouverner », il faut chercher l’adhésion la plus large possible dans la prise de décision collective. Nous aurions pu espérer que dans le cas du Mont Orford [1], Jean Charest avait compris le message, lui qui déclarait le 10 avril 2003 que ce projet devait « recevoir une large approbation sociale ».

Pourtant, malgré la désapprobation de 64 % de la population, les mobilisations constantes, la signature d’une pétition dépassant les 60 000 signatures, le gouvernement s’entête à privatiser une partie du Parc national d’Orford. Le projet de loi 23 devrait être adopté d’ici la fin juin, car aux dires du ministre Béchard, si le projet est bien expliqué à la population québécoise, si le gouvernement fait preuve de pédagogie, celle-ci se ralliera comme l’ont fait les militants réunis en Conseil général en mai dernier...

Par ailleurs, dans le domaine de l’énergie, malgré l’opposition des communautés locales, l’autorisation pourra être accordée pour la construction de petites centrales électriques de 75 mégawatts sur les rivières du Québec, et ce, conformément aux orientations annoncées dans la loi sur les compétences municipales. Que dire du projet de loi 9 qui se veut la réponse gouvernementale au jugement rendu par la Cour supérieure du Québec en décembre 2005 interdisant aux motoneigistes un tronçon de piste de la MRC des Laurentides ? Pour sauver l’industrie de la motoneige, et au grand dam de la santé des riverains de ces pistes, le gouvernement « maintient pour une période de cinq ans, sur les sentiers qui font partie du réseau interrégional qui sera établi par arrêté du ministre, l’immunité accordée contre les recours basés sur les inconvénients de voisinage, le bruit ou les odeurs liées à l’utilisation d’un véhicule hors route ». Devant tant d’entêtement il n’est pas surprenant que la population se rebiffe et retire sa confiance au gouvernement.

Erreur de jugement, improvisation ou incompétence ?

La liste des dossiers témoignant d’un gouvernement qui dirige à « la petite semaine, par avancées et reculs » [2] ne cesse de s’allonger. De la saga du nouveau programme d’histoire du Québec au secondaire à l’intention, vite mise au rancart, d’augmenter le salaire des députées de l’Assemblée nationale, s’ajoute maintenant la volonté d’accélérer la procédure d’éviction des locataires pour non-paiement de loyer.

Forcé de mettre de côté ses promesses de baisses d’impôts substantielles, embourbé dans sa « réingénierie » qui accouchera d’une souris, le gouvernement s’accroche dorénavant à la bouée de sauvetage que lui a fournie les « lucides » de tout acabit, soit le remboursement de la dette à même les revenus d’Hydro-Québec.

Dernière trouvaille, la création d’un Fonds des générations, symbole de la nouvelle « approche globale » qui consiste tour à tour à rembourser la dette et réduire le fardeau fiscal des contribuables tout en maintenant le financement des missions essentielles de l’État. L’objectif est de réduire à 25 % le poids de la dette publique par rapport au PIB, et ce, d’ici 20 ans. Comment ? En alimentant ce fonds par les redevances sur l’eau… celles-là mêmes qui devaient alimenter le Fonds vert. Comme le signalait André Bouthillier, président d’Eau Secours : « l’Étatisation de l’eau pour en faire une machine à taxes mettra fin à son statut juridique de bien commun » [3]. Cette stratégie se conjugue avec le retour des centrales hydrauliques sur les petites rivières afin d’augmenter les revenus d’exportation et de garnir les coffres de l’État.

Au cours des prochaines années, d’importants chantiers routiers se mettront en branle. Malgré un troisième avis de la Commission de protection du territoire agricole – qui rejette le projet de l’autoroute 30 parce que ce dernier « est incompatible, selon les critères de la loi, avec les objectifs de protection du territoire agricole et de ses activités » –, le gouvernement ira de l’avant. L’autoroute pourra traverser les terres agricoles de la Montérégie. Quant à la décision de prolonger l’autoroute 25, nul besoin d’attendre les plans et les devis du projet, ni la désignation du promoteur pour produire une analyse environnementale : le gouvernement explique que celle-ci a eu lieu, que la substance des recommandations se trouve dans le décret qui autorise la construction !

Marchandiser la santé, encore plus

Qu’on se le tienne pour dit, le gouvernement ira de l’avant avec les PPP « à la québécoise ». Malgré la publication d’études illustrant les pièges que recèle le recours aux PPP [4] et les coûts exorbitants qu’ils entraînent, les deux hôpitaux universitaires seront construits en partenariat avec le secteur privé d’ici 2011, le processus étant déjà enclenché. Par décret, le gouvernement a confié à l’Agence des PPP « le mandat d’initier le processus d’octroi de contrats en mode PPP pour les composantes des projets CHUM et CUSM » [5].

Pour « préserver » les principes d’universalité et d’accessibilité du système hospitalier public, le gouvernement québécois ne met de l’avant que des solutions privées dans son livre blanc : cliniques affiliées privées, assurances privées, etc. Au chapitre de l’hébergement des personnes en lourde perte d’autonomie, ce sont les ressources d’habitation communautaires que le gouvernement veut enrôler, même si cela doit les détourner de leur mission première : l’accès à des logements pour les personnes à faible revenu.

Les entreprises d’économie sociale en aide domestique seront invitées à « élargir leur panier de services », c’est-à-dire donner des soins à la personne (bain et soins d’hygiène). Le ministère de la Santé versera 4,6 millions $ pour permettre les « arrimages profitables à la clientèle âgée ou vulnérable » à des entreprises qui souffrent d’un sous-financement chronique et dont les personnels reçoivent un salaire nettement inférieur à celui versé aux auxiliaires familiales et sociales des CLSC.

Partira ou ne partira pas ?

Ce gouvernement s’acharne à vouloir imposer sa vision du développement du Québec et s’entête à diriger le Québec comme s’il en était le propriétaire plutôt que simplement le mandataire. En fait, si le PLQ a réussi à museler ses membres, rien n’indique qu’il réussira à faire taire la grogne au sein de la population québécoise.

Toute velléité de contestation du leadership de Jean Charest a été étouffée lors du Conseil national de mai 2006. C’est probablement partie remise. Car si à la fin de l’été, la cote du gouvernement ne s’améliore pas, si l’équilibre fiscal n’est pas au rendez-vous de l’automne, si les dérapages se poursuivent, le PLQ n’aura d’autre choix que d’envisager sérieusement un changement à sa direction. Pour remonter dans les sondages, Jean Charest devrait se mettre en mode écoute. Or, il en semble incapable.

Face à un tel gouvernement, la vigilance est une obligation citoyenne, celle qui dépiste les motivations secrètes du gouvernement, les faces cachées de ses propositions. Ce chantier est titanesque tant les dossiers menaçant le bien commun et la cohésion sociale sont nombreux.

Actuellement, nous, les « vigilantes et vigilants », sommes de plus en plus nombreux et nombreuses, en plus d’être mobilisées. L’impopularité du gouvernement Charest démontre également que nos points de vue, nos analyses sont crédibles et bien reçues. À douze mois de l’échéance électorale, il ne faut surtout pas baisser la garde.


[1Voir le texte de Henri Lamoureux, page 12.

[2Pierre l’Heureux, « Un nouveau projet », L’annuaire du Québec 2006, p. 64.

[3« Les écologistes montent aux barricades », Le Devoir, 24 mars 2006, p. A-5

[4Voir le dossier « PPP : Quand le public devient privé », À bâbord ! # 8, février/mars 2005.

[5Décret 292-2006, Gazette officielle du Québec, 26 avril 2006, 138e année, no 17, partie 2, p. 1784.

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