Dossier : Nos services publics, (…)

Nos services publics - Un trésor collectif en péril

Ci-gît l’Agence des PPP

Jean-François Landry, Bertrand Schepper

Le 21 octobre 2009, le gouvernement déposait le projet de loi 65, créant Infrastructure Québec, mettant un terme au mandat de l’Agence des Partenariats public-privé (PPP). Le nouvel organisme « aura le mandat d’encadrer la réalisation des grands projets publics de 40 millions et plus. Il assurera aussi un contrôle des échéanciers et des budgets prévus [1]. » Ces modifications ont fait dire à certains que Québec enterrait l’Agence des PPP.

Il serait plus juste de parler d’un changement cosmétique. Le projet de loi 65 modifie le rôle jusqu’à maintenant dévolu à l’Agence des PPP pour en faire un organisme à vocation beaucoup plus large, qui aura son mot à dire sur la plupart des grands projets d’infrastructure du gouvernement, et ce, peu importe leur mode de réalisation. Comment expliquer ce changement de discours ?

En plus d’avoir essuyé de vives critiques tout au long de sa brève existence (2004-2009), le travail de l’Agence laissait planer de sérieux doutes quant à son impartialité dans de nombreux dossiers, particulièrement celui tant médiatisé du CHUM. Le rapport, très critique, du Vérificateur général du 18 novembre 2009 nous rappelle encore une fois comment l’Agence aurait manqué de rigueur dans ses analyses et hypothèses de travail, ce qui aurait résulté en des décisions plus qu’avantageuses pour les consortiums privés dans les dossiers du CHUM et du CUSM [2]. Politiquement, l’agence devenait de plus en plus une véritable patate chaude pour le gouvernement qui décide alors de mettre un terme à son action.

La mort des PPP ?

De là à conclure à la fin des PPP au Québec, il y a une marge importante. Tout d’abord, rappelons que des projets importants du gouvernement ont déjà été couverts par l’Agence (salle de l’OSM, parachèvement des autoroutes 25 et 30 ainsi que le CHUM et le CUSM). Ces projets sont l’occasion pour les consortiums privés de se faire la main sur la formule des PPP au Québec. Il y a fort à parier que les nombreux projets d’infrastructures qui verront le jour au cours des prochaines années feront l’envie du privé.

À ce sujet, il existe cependant des formules moins restrictives et moins médiatisées qui sont utilisées par des organismes publics pour des projets de moins grande envergure. Malheureusement, dans ce jeu ce sont systématiquement les organismes publics qui prennent tous les risques et le partenaire privé engrange les profits.

À titre d’exemple, certaines universités, afin de pallier au sous-financement chronique du système d’éducation, utilisent un modèle de partenariat public-privé déséquilibré. Le projet de l’UQAM et de l’Îlot Voyageur est ici particulièrement parlant, bien qu’il ne corresponde pas à la définition d’un PPP tel que l’Agence des PPP le concevait.

Afin de ne pas contracter un prêt qui aurait eu pour effet de réduire ses subventions du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), l’UQAM choisit plutôt de garantir l’emprunt d’une filiale de l’entreprise partenaire du projet, Busac, pour la construction. Cette firme privée a ainsi pu bénéficier du taux d’emprunt préférentiel accordé à l’université. À la suite de cette opération, Busac devait louer à l’UQAM les locaux du nouveau pavillon en assurant l’entretien du bâtiment durant 25 ans, après quoi l’UQAM en prendrait possession et serait responsable des rénovations à y faire. Par conséquent, l’UQAM se trouve à assumer les risques de la construction et de la location d’un bâtiment dont elle n’est pas propriétaire pendant plus de 25 ans.

Si le fiasco de l’Îlot Voyageur a été largement commenté et critiqué, nous remarquons que, bien que dans une envergure moindre, c’est bien souvent en vertu du même procédé que se construisent actuellement d’autres projets de pavillons universitaires. L’UQAR a construit son nouveau pavillon de Lévis en PPP et la même formule est utilisée par l’UQO qui ouvre en janvier 2010 un pavillon à Saint-Jérôme [3] (après avoir fait affaire avec le même promoteur). Il est à noter, que dans tous ces cas, c’est l’organisme public qui prend la vaste partie des risques et l’entreprise privée qui empoche les profits.

En somme, il ne s’agit plus de partenariat, mais bien d’une rente assurée par le public pour le promoteur privé.

Bien que l’Agence des PPP n’est plus, il est clair que les projets à l’avantage des promoteurs privés continueront de se réaliser, peut-être avec une attention médiatique moindre et sous un aspect plus « neutre » ; soyons certains toutefois que l’appât du gain n’a pas été enterré avec l’Agence des PPP. Les promoteurs se cachent dorénavant derrière une nouvelle structure dans l’espoir de réaliser des projets majeurs sans le battage médiatique autour des PPP et de leur défunte Agence dont l’esprit rôde toujours…


[1http://www.ledevoir.com/politique/quebec/272838/ quebec-enterre-l-agence-des-ppp

[2Voir le chapitre 5 du tome 2 du rapport du Vérificateur général du Québec pour l’année 2009-2010.

[3Pour plus de détails, consultez l’étude de l’IRIS, Les PPP dans les universités québécoises, disponible sur son site Internet : http://www.iris-recherche.qc.ca/

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