Dossier : Réinventer la démocratie

La démocratie participative

Une boussole pour le changement social et politique

Pierre Mouterde

La démocratie participative, on commence à en parler partout au Québec. Ateliers de formation organisés par Alternatives ou le Repac, discussions à l’UFP ou dans diverses organisations populaires, projet de budget participatif dans certains arrondissements de Montréal : la voici à l’ordre du jour, avec sur toutes les lèvres la référence quasi magique à Porto Alegre. Mais qu’y a-t-il de vraiment transposable au Québec dans cette expérience brésilienne ? En quoi pourrait-elle nous servir ici de boussole ?

La démocratie participative, qu’est-ce que c’est ?

Si l’expérience de Porto Alegre a eu le succès qu’on lui connaît, ce n’est pas uniquement parce qu’elle est apparue – sur une période de plus de trois mandats (de 1988 à aujourd’hui) – comme une bonne technique pour revaloriser la politique municipale et lui redonner crédit auprès d’électeurs de plus en plus désintéressés.

La ville a su instaurer une dynamique de participation citoyenne inédite, chaque fois plus ample et radicale, et qui impliquait un contrôle effectif du cœur de la gestion municipale : le budget. Ce n’est donc pas rien ! D’autant plus que cette dynamique participative implique un long processus de formation, de délibération et de prise de décision collective (près de 35 000 personnes) qui, dans les faits, court-circuite en grande partie le pouvoir des conseillers municipaux et des experts techniques de la ville sur cette question. Elle permet au passage aux secteurs les plus démunis de la ville non seulement de faire de la politique autrement, mais aussi de voir leurs conditions d’existence s’améliorer considérablement (augmentation de l’accès au tout-à-l’égout, à l’eau potable, etc.).

Il ne faut pas oublier non plus que cette expérience de Porto Alegre s’inscrit dans un processus de démocratisation de la société brésilienne et de surgissement, sur la scène sociale et politique, des aspirations et exigences des couches populaires. Notamment au travers de la constitution de forts mouvements sociaux (comme la CUT ou le MST) et de la construction du Parti des travailleurs, ainsi que des efforts répétés des courants de gauche de ce dernier pour accéder au gouvernement sur la base d’un programme populaire.

En ce sens, la démocratie participative ne voudrait rien dire si elle n’était pas intimement reliée à cet horizon d’émancipation sociale et politique, si elle ne se situait pas dans la lignée de toutes ces expériences de double pouvoir et de pouvoir populaire du passé, particulièrement de toutes celles qui s’attaquaient à la propriété de la richesse sociale (voir encadré).

Les vertus de la démocratie participative

La démocratie participative doit donc se comprendre dans le cadre d’une stratégie plus générale de reprise de pouvoir par ceux et celles qui en sont dépossédés et qui souffrent du déficit démocratique grandissant, si caractéristique des régimes de démocratie libérale. Si elle n’est pas antagonique à l’idée d’un scrutin proportionnel et peut se combiner à lui, elle va néanmoins plus loin, considérant que la crise du politique que nous connaissons est si importante qu’un simple élargissement de ses formes de représentation n’est pas suffisant.

C’est d’ailleurs le principal mérite de la démocratie participative : elle permet, au travers de la pratique même, de redonner le « goût de la politique » à d’importants secteurs sociaux que la gauche ne rejoint pas ou plus : en revalorisant l’action politique (au niveau municipal, mais pas seulement), en lui redonnant ses lettres de noblesse, en montrant in concreto qu’il est non seulement viable mais encore efficace d’installer d’authentiques pratiques démocratiques partout, en somme qu’il est possible de faire de la politique autrement. Elle permet ainsi à un nombre croissant de citoyens de se constituer, dans certains lieux donnés, en pouvoir alternatif, en opposant dans les faits à la voie néolibérale leur propre conception de la souveraineté et de la vie en commun. Loin de passer à côté de l’action politique partisane, elle peut devenir un profond stimulant pour en faire différemment : sur le mode démocratique.

Les dangers de la démocratie participative à l’ère néolibérale

Ces indéniables mérites ne font pas pour autant de la démocratie participative une panacée. Il est bon de se rappeler que la Banque Mondiale avait vu d’un très bon œil, elle aussi, l’expérience de Porto Alegre, ne serait-ce que parce qu’elle permettait d’enrayer la corruption ou le clientélisme et qu’elle s’inscrivait dans des processus de décentralisation conformes aux logiques néolibérales. C’est là d’ailleurs peut-être le piège numéro un dans lequel ses plus ardents partisans pourraient tomber : confondre participation citoyenne et décentralisation néolibérale ; et surtout imaginer que des expériences de « démocratie de proximité » pourraient tenir lieu de stratégie générale pour la gauche et ainsi résoudre le formidable déficit démocratique que nous connaissons aujourd’hui. L’intérêt de la démocratie participative réside en effet d’abord et avant tout dans sa capacité à remettre en mouvement des citoyens, à créer une dynamique sociopolitique qui, en prenant acte des limites inhérentes à la démocratie représentative, institue en contrepoint des expériences de pouvoir alternatif. Ces expériences, s’élargissant chaque fois, en viennent à questionner la légitimité des formes de pouvoir néolibérales. Plus qu’une simple mécanique, la démocratie participative est donc ce qui peut stimuler le mouvement et ouvrir de nouveaux espaces de pouvoir à « la société civile d’en bas ».

Des balises pour l’avenir

Il faut toutefois prendre en compte deux données essentielles. Il n’y aura pas de démocratie participative digne de ce nom sans l’existence de mouvements sociaux actifs et puissants pouvant l’accompagner pas à pas. Au niveau municipal, elle doit être accompagnée de comités de citoyens indépendants et vigilants, capables d’appuyer les représentants du budget participatif, et surtout de veiller à ce qu’ils restent fidèles aux demandes et aspirations des milieux populaires.

Il n’y aura pas non plus de réelle démocratie participative sans qu’on puisse en même temps l’articuler à un projet politique plus global. Car le souci du local (de la proximité) n’a de valeur que s’il peut se combiner à une intervention politique au niveau national ainsi qu’au niveau continental. Autrement, la démocratie participative risque soit d’être récupérée par la décentralisation néolibérale, soit de rester de l’ordre de l’expérience marginale, plus ou moins folklorique.

D’ailleurs, le traditionnel « maître chez nous » du Québec des années 60-70 pourrait – au fil d’un projet politique véritablement novateur et alternatif – s’articuler aux exigences de la démocratie participative, l’un redonnant force et vitalité aux autres, et vice-versa. C’est d’ailleurs à partir de telles bases qu’on pourrait établir de nouvelles relations avec ces peuples des Amériques qui souhaitent eux aussi échapper au rouleau compresseur du « tout-au-marché » néolibéral ainsi qu’à ses diktats anti-démocratiques.

La démocratie participative ne ferait-elle pas ainsi figure de boussole pour le changement social et politique au Québec ?

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