Un vieux plat réchauffé

No 29 - avril / mai 2009

Entente Canada / Union Européenne

Un vieux plat réchauffé

Claude Vaillancourt

Jean Charest a la voix vibrante et le regard brûlant lorsqu’il nous parle du « nouvel espace économique » dans lequel il désire situer le Québec. Cette idée digne d’un grand visionnaire est ce qu’il a de mieux à offrir, nous a-t-il dit, comme projet de société à la nouvelle génération québécoise. Au cœur du projet, un accord entre le Canada et l’Union européenne dont il est l’un des plus ardents défenseurs. Il n’est pas le seul, cependant. Thomas d’Aquino, instance suprême du Conseil canadien des chefs d’entreprises (CCCE), y croit tout autant.

C’est d’ailleurs sur le site du CCCE que l’on peut lire la description la plus éclairante de cette éventuelle entente [1]. Toujours la même indigeste poutine que dans les autres accords commerciaux, ALÉNA, AGCS et accords bilatéraux. Tout cela présenté sous des vocables séduisants, comme s’il s’agissait d’une heureuse entreprise.

Attardons-nous à la présentation aguichante que le CCCP fait de l’entente et voyons ce que les propositions veulent vraiment dire. Parmi les priorités de l’initiative, selon d’Aquino, il y aurait :

L’élimination de toute barrière tarifaire et non tarifaire restante.

Traduction : les entrepreneurs canadiens seront en concurrence directe et constante avec les Européens. Or, l’Union européenne est la plus grande puissance commerciale au monde, avant les États-Unis et la Chine. Pour les bénéfices de quelques grandes compagnies canadiennes qui en profiteront, il faudra s’attendre à voir nos marchés envahis par les produits européens, aux dépens de notre propre production, comme en Amérique du Sud, à la suite des plans d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale.

L’ouverture des marchés financiers et d’autres services à tous les niveaux.

Traduction : la déréglementation des marchés financiers a provoqué la pire crise depuis le krach de 1929. Pour régler le problème, l’entente propose encore plus de déréglementation. On cherche à régler le problème en développant ce qui l’a provoqué. Donc, en nous jetant carrément dans le précipice. Parmi les autres services, on pourrait même envisager que la santé, l’eau et l’éducation soient libéralisées, ainsi que le souhaitaient des pays européens dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).

Un meilleur accès réciproque aux achats publics.

Traduction : plutôt que de pouvoir développer des politiques favorisant les achats locaux et les entreprises d’ici, nos instances publiques pourront faire venir des produits et services équivalents du fin fond de l’Europe, pour soi-disant sauver quelques sous.

Une meilleure protection de la propriété intellectuelle.

Traduction : les grandes compagnies pourront s’approprier le savoir et le vendre à haut prix. Tout le contraire d’une politique d’accessibilité au savoir.

Un ambitieux accord de coopération en matière de réglementation assorti d’un engagement à agir dans les secteurs prioritaires.

Traduction : les réglementations du Canada et de l’Europe seront « harmonisées ». Ce qui veut dire, si on se fie aux divers autres accords signés un peu partout, qu’elles seront réduites à leur plus petit commun dénominateur, ou tout simplement abrogées, même si leur but est de protéger les intérêts des citoyens et citoyennes.

Un mécanisme complet de règlement des différends entre États qui serait exécutoire.

Traduction : des tribunaux d’experts, siégeant à huis clos et se plaçant au-dessus de gouvernements démocratiquement élus, pourront démanteler des lois adoptées dans l’intérêt public si celles-ci nuisent au commerce.

Avec une obstination qui serait tout à leur honneur si elle n’était pas nuisible, Jean Charest et nos plus grands patrons nous proposent ainsi une entente avec une série de mesures qui se sont révélées nocives et dangereuses à bien des points de vue, qui ont soulevé des multitudes d’objections, et qu’on ose nous vendre comme un projet qui devrait nous stimuler. À désespérer…

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