Dossier : Résistances autochtones

Éducation

Un projet de loi à sens unique

Lise Bastien, Simon Van Vliet

En dépit de sa volonté affichée de collaboration, le gouvernement Harper a plutôt fait cavalier seul dans l’élaboration de l’avant-projet de loi sur l’éducation des Premières Nations déposé en octobre 2013. Le processus a été vivement critiqué et rejeté par les principales parties intéressées, dont le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN). En entrevue avec À bâbord !, la directrice générale du CEPN, Lise Bastien, ne mâche pas ses mots pour dénoncer la mauvaise foi du gouvernement fédéral dans ce dossier.

À bâbord ! : Le processus de consultation qui a mené à l’ébauche du projet de loi sur l’éducation des Premières Nations a été décrit comme unilatéral et inadéquat. Est-ce à l’image des relations que le gouvernement Harper entretient avec les Premières Nations ?

Lise Bastien  : Tout à fait. Le gouvernement parle d’une vaste consultation, mais la consultation comme telle n’est pas contraignante, car il n’est pas tenu de prendre en considération les recommandations des Premières Nations.

ÀB ! : Le projet de loi semble générer un malaise généralisé et un désaveu assez unanime chez les Premières Nations. Pourquoi ?

L.B.  : On peut très bien s’entendre pour dire que la loi est inadéquate, sauf que si les raisons qui motivent les changements ne sont pas les mêmes pour les parties concernées, on ne part pas du tout avec la même vision du changement et les résultats ne pourront pas faire consensus. Nous, on ne dit pas que la loi actuelle est adéquate. Par contre, nos intentions, c’est d’encadrer davantage la responsabilité du fédéral et de s’assurer qu’il va respecter sa responsabilité fiduciaire, reconnaître l’autonomie des Premières Nations en matière d’éducation et, ultimement, s’assurer de la qualité de l’éducation.

Je pense que l’erreur a été de ne pas travailler sur des objectifs communs au préalable. Le ministre accuse les gens des Premières Nations qui s’opposent au projet de loi de ne pas vouloir améliorer la réussite scolaire. Il fait porter l’odieux aux Premières Nations.

ÀB ! : Si les préoccupations identifiées par les Premières Nations et les aspirations des communautés autochtones sont ainsi ignorées, peut-on conclure que le projet de loi s’inscrit dans la continuité des politiques d’assimilation forcée des populations autochtones par le gouvernement canadien ?

L.B. : L’avant-projet de loi qui a été déposé prévoit très peu d’obligations pour le ministre, toutes les responsabilités aux Premières Nations et aucun rôle décisionnel pour celles-ci. Si l’on ne peut pas décider des programmes, des contenus, des curriculums, des façons de faire, de la gouvernance, des standards scolaires, etc., et que tout est décidé par un gouvernement dominant, il y a clairement une intention assimilatrice. L’intention [du gouvernement fédéral] derrière le projet de loi est de forcer les Premières Nations à s’associer à des commissions scolaires, de transférer la responsabilité de l’éducation aux provinces pour s’en départir.

Le CEPN a déposé deux projets de mise en œuvre d’un système d’éducation. Le dernier projet, fruit d’une entente entre le gouvernement fédéral et le CEPN et d’une vaste consultation auprès de ses communautés membres, a reçu des éloges du gouvernement actuel. Et pourtant, ce fut une fin de non-recevoir. On nous a répondu qu’il n’y avait pas d’argent pour soutenir un système d’éducation pour les Premières Nations. Aujourd’hui, on nous accuse de ne pas avoir mis en place des systèmes efficaces. C’est une mise en échec planifiée.

ÀB ! : Cette tendance autoritaire et paternaliste envers les Premières Nations n’est pas nouvelle. Comment percevez-vous l’approche actuelle du gouvernement Harper en éducation ?

L.B. : Ce gouvernement procède toujours de la même façon. Ce n’est pas vrai qu’il consulte. Il décide, met en place des processus de consultation inadéquats qui ne rencontrent pas les conditions minimales de son obligation de consultation, et il prend seul les décisions selon sa vision.

Le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien prend plaisir à faire état de « mauvaise gestion » de la part des Premières Nations. Ce gouvernement brise des réputations et jette le discrédit sur ces dernières pour mettre de l’avant ses politiques. Il manipule l’information afin de convaincre les Canadien·ne·s que sa décision sert les meilleurs intérêts des Premières Nations. Il prétend que c’est la réussite scolaire de nos enfants qui est en jeu. Pourtant, nous avons fait de multiples propositions pour améliorer l’éducation de nos jeunes qui n’ont pas reçu d’écoute favorable.

D’ailleurs, nous leur avons dit : « Qui êtes-vous pour vous positionner en expert en éducation des Premières Nations ?  », alors qu’autour de la table il y avait des gens qui ont 30 ans d’expérience et qui sont membres des Premières Nations. À l’intérieur du ministère, plusieurs ne connaissent pas la situation des communautés, pourtant ils et elles travaillent sur des politiques qui ont des impacts importants et directs sur notre avenir. Cela démontre un mépris envers les aspirations et les compétences des Premières Nations.

Dossier à suivre...

Le 7 février 2014, le gouvernement fédéral a annoncé une entente avec l’Assemblée des Premières Nations. Selon l’analyse préliminaire de l’entente réalisée par le CEPN le 10 février, cette entente inopinée « maintient plusieurs éléments très contestés de l’avant-projet de loi  », notamment l’absence de financement additionnel à court terme ou d’un financement adéquat pour l’enseignement des langues et des valeurs culturelles autochtones ainsi que la non-reconnaissance et le non-respect des compétences et du contrôle des Premières Nations en matière d’éducation.

« Cette entente fut conclue par quelques individus en gardant les membres du Comité des Chefs sur l’éducation (CCE) et des techniciens (CNIE), instances officielles de l’APN en matière d’éducation et même les Chefs régionaux qui forment l’exécutif de l’APN, dans la plus complète ignorance », souligne le CEPN dans son analyse. L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) dénonce « l’opportunisme politique » de l’annonce qui contient des « promesses familières […], mais aucune garantie  ». Le CEPN déplore pour sa part l’adoption à prévoir « d’une loi allant totalement à l’encontre des aspirations des Premières Nations » et s’indigne qu’«  il [ait] suffi d’une promesse d’un financement futur et incertain pour accepter l’inacceptable : un contrôle accru du gouvernement sur nos institutions et l’obligation de se conformer aux normes et aux politiques provinciales  ».

Le 19 février, l’APNQL déposait une requête de révision judiciaire du processus de consultation du projet de loi donnant aux Premières Nations le contrôle de leur éducation. Le dossier est à suivre…

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