Dossier : Partenariats public-privé

PPP : étude de cas # 9

Un PPP communautaire forcé en Estrie ?

par Normand Gilbert

Normand Gilbert

Après plusieurs années de lutte, les organismes communautaires du Québec ont obtenu en 2001 une politique de reconnaissance de l’action communautaire autonome par le gouvernement du Québec et l’engagement d’un soutien financier accru. Ce « soudain » intérêt de l’État pour les organismes communautaires découle aussi (en grande partie diront certains) du désengagement social de l’État. L’État se tourne vers ces organismes puisqu’ils demeurent les plus près de la communauté tout en étant à « moindre coût ». Évidemment, certaines obligations (de plus en plus contraignantes) accompagnent ce financement accru…

Mais voilà que l’État voudrait appliquer les PPP aux organismes communautaires sans but lucratif. En Estrie, une démarche d’implantation d’un projet pilote est en cours dans le secteur de la sécurité alimentaire. Ce projet veut associer une douzaine d’organismes communautaires, quelques ministères québécois et, espérait-on, plusieurs compagnies privées. Ces dernières donnent généralement déjà à différents organismes communautaires « ciblés » ou à des organismes « redistributeurs », tel Centraide. Actuellement, la quasi-totalité de ces dons vise à soutenir la mission de l’organisme (activités, fonctionnement, services de base, etc.).

Le projet-pilote viendrait encadrer ce soutien étatique-privé aux organismes communautaires par l’intermédiaire d’une entente de service entre les trois composantes concernées (organismes – ministères – compagnies). Cette entente préciserait à quels services devrait servir l’argent et/ou à exiger l’offre de nouveaux services. Nous entrons donc dans une logique de développement accru de la « marchandisation » du don. Si ce projet-pilote s’appliquait à l’ensemble des organismes communautaires, les entreprises privées (en complicité avec l’État) pourraient : 1) mettre davantage les organismes en compétition entre eux ; 2) exercer une pression indue pour que les organismes modifient leur mission ; 3) exiger des gouvernements des modifications aux programmes de soutien aux organismes communautaires (« nous participons à une entente de service à condition que la part gouvernementale… »). Ce type de projet pourrait nous entraîner dans une logique de « l’État vous soutient pour x dollars à la condition que vous obteniez un soutien de x dollars du privé ET que vous signiez une entente de service tripartite » (et voilà les PPP communautaires !!!). Quels types d’organismes sortiraient gagnants d’un tel exercice ? Sûrement pas les groupes de défense collective des droits…

Actuellement, il semble que le projet-pilote (suivi de près par le député de Sherbrooke et premier Ministre du Québec, M. Jean Charest) s’achemine vers un cul-de-sac puisque les organismes communautaires concernés résistent à la tentation (du moins sur le projet tel que déposé au début de la démarche) et qu’un seul « partenaire privé » se soit engagé dans ce projet. La résistance des organismes est très intéressante dans un contexte de sous-financement chronique de ce secteur et des besoins de plus en plus criants de la population pour les services qu’ils offrent. Cette résistance prend racine, entre autres, dans une culture d’autonomie des organismes face à l’État et au privé. Les organismes devront redoubler de vigilance face à ces différentes « sirènes gouvernementales/privées » pour ne pas perdre leur « âme communautaire » et « faire naufrage ».

Bref, un projet-pilote à suivre de très près… s’il se réalise.

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