Travailleuses et travailleurs des Couche-Tard

No 42 - déc. 2011 / jan. 2012

Syndicalisme

Travailleuses et travailleurs des Couche-Tard

Mobilisés plus que jamais !

Léa Fontaine, Jean-Marc Piotte

Pot de fer contre pot de terre, encore une fois la lutte des classes s’exprime. Le riche et puissant Couche-Tard fait tout pour casser les reins du syndicat et écraser ses travailleuses et travailleurs. Mais ils tiennent bon. Une illustration de ce que peuvent faire ceux qui font partie du 1 %  : garder la tête haute et foncer droit devant.

Une pompe à fric

Couche-Tard emploie plusieurs milliers de personnes en Amérique du Nord, au sein d’un réseau de plus de 5 700 établissements, dont le chiffre d’affaires annuel global s’élève à 19 milliards de dollars (2010-2011). Au Québec, l’entreprise compte quelque 5 000 employés répartis dans plus de 500 magasins non franchisés. En d’autres mots, il n’y a qu’un seul maître à bord : les actionnaires majoritaires qui ne sont autres que les fondateurs. L’un d’entre eux est Alain Bouchard, président et chef de la direction. Aux termes du Canadian Business, il occupe le 86e rang des hommes les plus riches du Canada ; sa fortune personnelle est estimée à 720 millions de dollars. Alors que ses employés sont rémunérés au taux du salaire minimum, il connaît une énorme augmentation salariale (2011), soit 58 %, ce qui représente une rémunération totale de plus de 3,3 millions de dollars.

L’entreprise fonctionne selon le principe du planogramme, communément appelé placement de produits, c’est-à-dire que l’implantation de ces derniers est identique dans l’ensemble des succursales : la marque de bière x se trouve sur la tablette y à hauteur des yeux ; le paquet de croustilles z est posé sur la dernière tablette du fond ; etc. On se doute que le meilleur emplacement fait des envieux, prêts à le monnayer. Qui plus est, le responsable de chaque magasin est tenu de s’approvisionner au centre de distribution appartenant à Couche-Tard.

De piètres conditions de travail

Les demandes syndicales sont si raisonnables que l’on prend facilement conscience de la très faible qualité des conditions actuelles de travail et de l’absence de sécurité d’emploi. Considérant qu’ils exercent un métier potentiellement dangereux, les travailleuses et travailleurs réclament l’installation d’un bouton de panique en cas de vol à main armée ainsi qu’un suivi psychologique pour les victimes de telles agressions. Ils demandent également : quatre journées de maladie ; la mise en œuvre de règles objectives pour l’octroi des postes et le choix des horaires et des vacances ; l’instauration d’une échelle salariale menant à un taux horaire d’environ 12,50$ pour les préposés ; enfin, le respect des normes du travail et des lois sur la santé et la sécurité.

De l’intimidation antisyndicale

Quatre établissements ont été syndiqués avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN) : Beaubien Est/St-Denis et Jean-Talon Est/Iberville à Montréal ; St-Hubert et St-Liboire, ce dernier étant le plus gros magasin du Québec. Sur ces quatre établissements accrédités, les deux premiers ont été fermés respectivement en avril et septembre 2011. Dans les deux cas, l’employeur argue des difficultés financières. L’employeur Couche-Tard cultive la peur et pratique l’intimidation des travailleuses et travailleurs en fermant les magasins syndiqués. Le Couche-Tard québécois et le Wal-Mart états-unien : mêmes pratiques, même combat !

Toutefois, si le Code du travail interdit de congédier des salariés qui exercent des activités syndicales, il n’empêche pas de fermer définitivement une entreprise au motif que l’on ne veut pas transiger avec un syndicat ou qu’on ne peut lui briser les reins, même si cela a pour effet secondaire de congédier les salariés (Cour suprême du Canada, Wal-Mart, 2009). Dans une telle hypothèse, l’employeur doit assumer les conséquences financières de son geste, soit seulement quelques milliers de dollars par travailleur congédié.

Des actions syndicales

La CSN se démène sur tous les fronts. L’accent est avant tout mis sur la syndicalisation et sur la négociation en cours à St-Liboire et à St-Hubert. Rien n’est laissé au hasard, toute infraction juridique de la part de l’employeur fait l’objet d’une plainte. Ainsi, la CSN a déposé une plainte à la Commission des relations de travail (CRT), en septembre dernier, pour négociation de mauvaise foi, entrave, intimidation et menaces pour activités syndicales et a demandé la reprise, de façon provisoire, des opérations du magasin Jean-Talon/Iberville et la communication des informations financières utiles. La CRT a décidé que l’employeur a le droit de fermer son entreprise, peu importent ses raisons, pourvu que la fermeture soit réelle. Même si « la cessation est mue par des motifs condamnables socialement », la fermeture véritable d’une boutique est une raison économique valable de ne pas engager de travailleuses et travailleurs (affaire Wal-Mart, 2009). La CSN mène d’autres actions ; à ce titre, elle soutient financièrement les travailleuses et travailleurs mis à la rue et organise différentes actions de visibilité et de sensibilisation. La CSN pénètre le champ de l’actionnariat : faisant preuve de créativité, une communauté religieuse a cédé son droit de présence à l’Assemblée des actionnaires à une travailleuse, qui a pu s’exprimer et demander directement aux hauts dirigeants s’ils considéraient que son droit à la syndicalisation et à la négociation était respecté. On imagine le malaise. La réaction ne s’est pas fait attendre très longtemps : une semaine plus tard, le magasin Jean-Talon/Iberville fermait ses portes.

La mobilisation demeure forte, probablement parce que l’initiative de la syndicalisation revient pleinement aux travailleuses et travailleurs qui se sentent de plus en plus militants, engagés et motivés dans leurs luttes.

En attendant que le législateur, la ministre du Travail et les juges finissent, d’une part, par faire respecter le droit à la syndicalisation et à négociation collective des conditions de travail, et d’autre part, par admettre qu’une telle corporation est une grosse entreprise divisée en établissements formant une seule et unique unité sociale et économique, au sein de laquelle il serait possible de reclasser les travailleuses et travailleurs congédiés, continuez d’acheter vos croustilles et bières chez le Couche-Tard du coin. Ne boycottez pas votre dépanneur, mais encouragez votre préposé à se syndiquer pour que la liberté d’association cesse d’être bafouée.

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