Stratégie canadienne en matière de carbone : des choix discutables

No 35 - été 2010

Stratégie canadienne en matière de carbone : des choix discutables

Daniel Chapdelaine

Le budget fédéral du 4 mars 2010 sonne le glas de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l’atmosphère, qui finance les groupes de recherche sur le réchauffement climatique. En revanche, il contient très peu de nouvelles mesures environnementales, si on excepte l’annonce d’investissements d’un milliard de dollars pour la recherche sur le captage et le stockage du carbone (CSC). Un pas dans la bonne direction ? Rien n’est moins sûr...

Qu’est-ce que le captage et le stockage de carbone (CSC)

On sait que le dioxyde de carbone (CO2) est un des principaux gaz à effet de serre (GES) et que l’augmentation de sa concentration dans l’atmos-phère contribue au phénomène du réchauffement climatique. Plusieurs pays se sont engagés, via des accords multilatéraux (Kyoto 1995, Copenhague 2010, etc.) à réduire, sinon limiter, dans les années à venir leurs émissions de CO2. Les principales sources de CO2 au pays (747 mégatonnes en 2007) sont issues des transports (27 %), des sites fixes utilisant de l’énergie (centrales électrogènes thermiques au charbon, au gaz ou au mazout, 47 %) et des industries énergivores (comme les aciéries, alumineries et cimenteries, 18 %). L’exploitation des sables bitumineux, qui compte pour 4 %, passera à 12 % en 2020 si le développement se poursuit comme prévu, et sera responsable de 44 % des augmentions de GES du Canada.

Il y a globalement deux moyens de limiter les émissions de CO2 : l’évitement à la source (économie d’énergie et utilisation d’énergies alternatives, telles que l’hydroélectricité, le solaire, le nucléaire, etc.) et l’élimination post-source, qui se résume au CSC. L’idée est de capter le CO2 émis sur les sites de forte production, ce qui permet de maximiser l’efficacité du procédé. Il faut pour cela d’abord le piéger dans un solvant à la sortie des chambres de combustion, puis le séparer des contaminants (azote, humidité, etc.) et enfin le compresser sous forme quasi liquide (supercritique). Ensuite, il faut transporter ce fluide jusqu’à un site de stockage, ce qui, essentiellement, peut se faire par pipeline ou par bateau. Enfin, il faut stocker le CO2 dans un endroit où il ne sera pas relâché dans l’atmosphère, sinon le processus entier n’aura servi à rien : les deux types de sites envisagés sont les puits géologiques et le fond océanique.

Les problèmes liés au captager et au stockage du carbone

Procédé attrayant à première vue (les gouvernements y investissent des sommes astro-nomiques ; les compagnies aussi, à condition de bénéficier de grasses subventions !), le CSC pose pourtant plusieurs défis irréconciliables avec l’économie des ressources et la sécurité de l’environnement.

Il faut d’abord noter que les processus d’isolation et de compression du CO2 capté, pour qu’il se condense en liquide, sont très énergivores : les procédés existants augmentent le coût de production d’électricité des centrales au charbon et au gaz naturel de 35 à 70 % [1] et consomment de 10 à 40 % de l’énergie produite par la centrale. C’est dire qu’il faudrait brûler jusqu’à deux fois plus de combustible pour obtenir la même quantité d’énergie produite avant l’installation d’un système CSC, ce qui accélère l’épuisement des ressources, mais aussi, ironiquement, augmente la quantité de CO2 généré par kWh produit !

Il faut ensuite ajouter que le CO2 capté doit être acheminé jusqu’au lieu de stockage, qui idéalement devrait se trouver à proximité, mais qui, dans le cas contraire, nécessitera un transport par pipeline et/ou bateau-citerne qui peut s’avérer coûteux, mais aussi risqué pour les populations avoisinantes en cas de fuites, le CO2 étant un gaz suffocant lorsqu’en grandes concentrations.

L’étape finale du processus, soit le stockage de cet encombrant CO2, pose également problème. L’injection de millions de tonnes de GES [2] dans les océans, outre les problèmes environnementaux dus principalement à l’acidification locale des masses d’eau qui risque de compromettre la santé des organismes marins, serait vaine en raison de l’équilibre qui existe entre les océans et l’atmosphère. En fait, on estime qu’après 100 ans seulement, jusqu’à 35 % du CO2 ainsi dissous serait à nouveau libéré : l’opération aura alors été une sorte de coup d’épée dans l’eau [3] !

L’autre avenue, très sérieusement envisagée, est d’injecter le CO2 dans des sites géologiques « étanches », à plus de 800 mètres de profondeur. C’est de loin la solution la plus économique, surtout que les sites envisagés peuvent être choisis, de sorte que le CO2 injecté prenne la place du pétrole ou du gaz naturel, les poussant ainsi à remonter à la surface. C’est un procédé déjà exploité depuis longtemps par les entreprises pétrolières et gazières : mais pour un changement de paradigme énergétique, on repassera...

Toutefois, on n’a pas idée de la durée de rétention de ces sites géologiques : il suffit d’une fuite de moins de 1 % par année du CO2 ainsi stocké pour que l’effet à long terme sur le réchauffement climatique soit annulé. D’une manière générale, peu importe le site de stockage, la loi des gaz est celle-ci : tout ce qui est compressé veut se dilater, et donc fuir !

Opposer le CSC à la réduction des émissions : un mauvais choix

Investir dans la technologie coûteuse, risquée et à long terme inefficace du CSC est très discutable en termes de priorités quand on sait que l’on pourrait réduire de moitié les émissions de CO2 d’ici à 2050 et économiser 180 milliards $ simplement en appliquant des mesures d’économie d’énergie et en exploitant les énergies renouvelables [4]. D’autant plus que l’argent et le temps que notre gouvernement investit dans le CSC ne seront pas disponibles pour soutenir des projets d’énergies alternatives. En fait, le bilan énergétique du CSC se résume à construire plus de nouvelles centrales thermiques pour obtenir la même quantité d’énergie. Cela revient à pelleter les problèmes en avant et épuiser encore plus les ressources, ce qui crée un problème probablement encore pire que les GES. En effet, plus on épuisera rapidement les énergies fossiles facilement accessibles, plus vite on se tournera vers des sources de carburant encore plus difficiles d’accès, moins propres et générant plus de résidus polluants, comme les sables bitumineux de l’Alberta. En attendant, chaque jour près de 17 millions de mètres cubes de gaz naturel propre sont consommés dans l’exploitation des sables bitumineux, une quantité suffisante pour chauffer plus de 3 millions de foyers canadiens [5]

En fait, la nature a déjà mis au point, depuis des millions d’années, une machine gratuite et performante pour capturer et stocker le carbone, et même le transformer en produits utiles (nourriture, matériaux pour construire des logis, des outils, etc.) : la plante ! Pendant qu’on essaie d’inventer un nouveau processus de CSC bien à nous, la déforestation continue : dans la forêt amazonienne, oui, mais aussi dans la forêt laurentienne et boréale au Québec (pâtes et papier) et en Alberta (surface d’exploitation des sables bitumineux plus grande que l’île de Vancouver), etc.

Le CSC : une subvention à l’industrie des sables bitumineux et du charbon

Petite mise en contexte : l’exploitation des sables bitumineux a été rendue possible et est rentable parce que nos gouvernements ont grassement subventionné cette industrie, à raison de 1,65 milliard $ entre 1997 et 2005, sous forme de crédits d’impôts à l’investissement, pour elle déductibles à 100 %, alors qu’ils ne sont déductibles qu’à 25 % pour les entreprises gazières et pétrolières conventionnelles [6]. De plus, il ne lui est pas demandé de comptes pour la détérioration de l’environnement engendrée par la destruction de la forêt boréale, aussitôt remplacée par des étangs de goudron qui font la honte des Canadiens de par le monde. Il faut ajouter à ces subventions les crédits investis dans le CSC : 3 milliards $ au cours des cinq dernières années, ce qui fait du Canada un chef de file en ce domaine [7]. Un amuse-gueule, quand on sait que les supporteurs du CSC estiment que 100 milliards $ (rien de moins !) seront requis pour déployer cette technologie [8].

Les gouvernements investissent de plus en plus dans le CSC : les États-Unis viennent d’annoncer 3,4 milliards $ et l’UE 1,4 milliard $ pour des projets pilotes. Ces subventions profitent aux industries du charbon et du pétrole, mais également aux chercheurs scientifiques, via des projets en partenariat. À titre d’exemple (non exhaustif), seulement en 2009, ce sont 45 millions $ qui ont été octroyés par Ottawa à des centres d’excellence universitaires dont les recherches portent sur l’acceptabilité des exploitations pétrolières de l’Ouest canadien et le CSC. On y affirme, sans rire, l’objectif de réduire de 80 % l’impact de l’exploitation des sables bitumineux sur les GES...

Méfions-nous des politiques vertes. Encore une fois, le gouvernement trouve le moyen de faire passer son inaction face aux industries polluantes, pire encore, ses encouragements financiers à celles-ci, pour des mesures attestant de sa préoccupation envers l’amélioration de la qualité de l’environnement.


[1GIEC 2005 ou H. Yang et al, Journal of Environmental Sciences, 2008, p. 14-27.

[2Le GIEC (2005) estime à 220-2200 Gt la quantité de CO2 qui doit être éliminée pour le 21e siècle afin de ramener la concentration atmosphérique à un niveau acceptable.

[3GIEC, Carbon dioxide capture and storage, 2005, 443 p.

[4Greenpeace, Faux Espoir, rapport du 5 mai 2008. En fait, le GIEC a déjà rapporté en 1996 que le simple fait de passer du charbon au gaz naturel comme combustible permet de réduire de 45 % les émissions de GES par kWh !

[5Leslie Shiell, « Les sables bitumineux de l’Alberta : coffre au trésor ou boîte de Pandore ? » http://www.recherche.uottawa.ca/perspectives/10195.

[6Institut Pembina, Thinking like an owner : Fact Sheet 2006, www.pembina.org/pub/1338

[7Gouvernement du Canada, 2010. http: //climatechange.gc.ca/default.asp ?lang=Fr&n=D43918F1-1

[8Ernst and Young, Carbon capture and storage country attractiveness index, 2009.

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