Révolution juridique en vue

No 38 - février / mars 2011

Le code du travail

Révolution juridique en vue

Léa Fontaine

Le néolibéralisme exacerbé, la concurrence obsessionnelle, les entreprises monopolistiques, la démesure de certains ego mettent à mal la solidarité citoyenne. Toutefois, les esprits s’échauffent, la classe laborieuse se rebiffe et s’organise en divers mouvements  : l’agenda des manifestations hivernales remonte le moral. L’année 2011 pourrait nous réserver quelques belles surprises telles de petits changements politiques, économiques ou juridiques. À ce dernier titre, le projet de loi 399 visant la modernisation des dispositions anti-briseurs de grève ou anti-scabs, déposé en décembre dernier, pourrait avoir de grandes répercussions sociales si les élus assumaient leurs responsabilités.

Le lock-out, un droit ?

Le lock-out entraîne la fermeture de l’entreprise à l’occasion d’un conflit collectif de travail  : par une décision unilatérale, l’employeur retire aux travailleurs leurs instruments de travail, les privant ainsi de leurs moyens de subsistance. En d’autres mots, de manière délibérée, l’employeur décide de ne pas exécuter le contrat de travail pour faire pression sur ses salariés pour qu’ils acceptent les propositions conventionnelles patronales, voire pour briser la solidarité et casser le syndicat. Fondamentalement, il convient de s’interroger sur l’existence même du droit de lock-out avant de se demander si les dispositions anti-scabs sont efficaces.

L’action syndicale prend la forme de la négociation collective, mais aussi de la grève – n’en déplaise à la Cour suprême du Canada, qui évite de se prononcer sur la question. Le syndicalisme permet l’union de travailleurs afin de tendre vers le rééquilibrage du rapport de force syndicat/ patronat qui, comme chacun sait, bénéficie à ce dernier. Dès lors qu’est-ce qui justifie l’existence d’un droit au lock-out ? Si le syndicalisme et ses moyens d’action sont destinés à faire face à la surpuissance patronale, un tel droit ne vient-il pas réduire à néant la tentative de correction du débalancement ? Non seulement l’existence de ce droit est aberrante, mais son exercice préventif est socialement indéfendable.

Si le lock-out ne pouvait être exercé qu’en cas de situation contraignante pour l’employeur, même si idéologiquement, l’on n’est pas en accord avec le principe, on pourrait toutefois en comprendre la logique. En effet, prenons un employeur acculé en raison d’arrêts successifs de travail ou de grèves tournantes désorganisant son entreprise, alors qu’il aurait démontré sa bonne foi et sa loyauté lors de la négociation collective – en d’autres mots, qu’il aurait tout fait pour éviter ces perturbations –, la fermeture de l’entreprise pourrait sans doute dans ce cas se justifier. Il pourrait en être de même si la santé ou la sécurité publique étaient mises en danger par l’action des travailleurs. Or, tel n’est absolument pas le cas – par définition – du lock-out préventif. Les choses étant ce qu’elles sont, vivons avec le droit de lock-out reconnu par la loi.

Qu’est-ce que le projet 399 ?

Ce projet de loi aurait pu être plus audacieux, mais il faut se réjouir de la démarche péquiste qui constitue un premier pas juridique concret. En résumé, le projet élargit le champ d’application des dispositions anti-scabs à l’extérieur de l’établissement en lock-out, en interdisant à l’employeur de recourir aux services ou produits du travail d’un salarié, d’un entrepreneur, d’une personne morale ou d’une personne à l’emploi d’un autre employeur, pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en lock-out. Concrètement, il serait impossible pour un employeur de faire exécuter le travail des lock-outés par d’autres personnes physiques ou morales.

Force est de constater que la notion d’établissement est passablement négligée par la loi alors que son interprétation extensive pourrait régler bon nombre de problèmes. En effet, si les établissements et les entreprises de l’employeur étaient considérés comme formant un groupe industriel réunissant des intérêts économiques et sociaux communs et relevant d’une même direction, il serait difficile de fermer un établissement en prétextant des difficultés économiques et d’en ouvrir un autre quelques kilomètres plus loin, de faire travailler d’autres salariés dans un autre établissement en prétendant ne pas violer les dispositions anti-scabs ou encore de congédier des travailleurs sans tenter sérieusement de les reclasser ailleurs au sein du groupe. Il est temps d’empêcher catégoriquement le recours aux divers voiles corporatifs permettant de contourner la loi. En aucun cas, il n’est permis de faire indirectement ce qu’il est interdit de faire directement, telle est pourtant l’habitude de certains néolibéraux. Le projet de loi 399 aborde cette notion d’établissement de manière efficace considérant le but recherché. Toutefois, il faudrait y revenir dans le cadre d’une réflexion plus vaste portant sur la modernisation du Code du travail.

Ce que les dispositions anti-scabs pourraient devenir !

La nouvelle disposition prévue par le projet de loi 399 permet de protéger le travail des lock-outés et d’éviter que le conflit ne perdure : si la production de l’entreprise se poursuit normalement ou presque, il n’y a aucune raison logique pour que le lock-out cesse. À cette modification législative, pourraient s’ajouter d’autres mesures tantôt incitatives, tantôt dissuasives. D’abord, il est indispensable de prévenir les lock-out plus efficacement. Si le nombre de conflits de travail québécois diminue, leur durée s’allonge et, fait frappant, les lock-out sont de plus en plus nombreux et parfois plus que les grèves (notamment à l’automne dernier). Le comportement patronal à la table de négociation collective semble en voie de changement et cela n’augure rien de bon. Un renforcement des processus de médiation et de conciliation, voire de l’arbitrage des différends, serait opportun. De plus, il s’avère crucial d’augmenter le montant des amendes pour violation des dispositions anti-scabs ; à l’heure actuelle, la loi prévoit le montant exorbitant de $1 000 maximum par jour d’infraction. De quoi faire sourire n’importe quel entrepreneur prospère !

Au-delà des dispositions anti-scabs

Dans le fond, si l’on espère voir le projet de loi 399 allègrement étudié, discuté, débattu, il est fondamental que les commissaires et juges osent dépasser la lettre du texte pour en retrouver l’esprit, en matière de lock-out comme en d’autres. Le dispositif légal a beau être excellent, pour être efficace, il doit être appliqué. L’évanescence des lieux de travail et la diversification des situations d’emploi exigent plus que jamais une interprétation renouvelée et moderne de la loi en général et du Code du travail en particulier.

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