Nous sommes ingouvernables

No 52 - déc. 2013 / janv. 2014

Collectif

Nous sommes ingouvernables

Abby Lippman

Nous sommes ingouvernables – Les anarchistes au Québec aujourd’hui, Collectif, Lux éditeur, Montréal, 2013, 358 p.

Ce livre arrive à un moment opportun : il apporte un antidote important aux insinuations persistantes dans les médias à savoir que les anarchistes auraient infiltré, si ce n’est pris en charge, les manifestations étudiantes de 2012 et continueraient de représenter une grave menace pour l’ordre social en encourageant plusieurs actions politiques dans la province. En décrivant clairement les multiples façons selon lesquelles l’anarchie contemporaine au Québec constitue un processus en cours ainsi qu’un objectif, et en illustrant méticuleusement comment ceux et celles qui épousent ses principes ne sont pas des « terroristes de l’intérieur », les auteurs·es présentent un éventail d’idées intéressantes, notamment sur les façons dont les pratiques d’autonomie, de solidarité, de démocratie directe et de réciprocité (pour ne citer que quelques-uns des grands principes de l’anarchie) ont été et continuent d’être vivantes.

Dans ce livre, l’accent est mis sur les différents axes de lutte pour le changement social et politique plutôt que sur les individus ou groupes qui mènent cette lutte. Un aspect particulièrement réussi de cet ouvrage collectif est l’absence de polémique ainsi que la mise à distance des visions romantiques de la vie collective, de l’autogestion et des moyens non hiérarchiques d’être et de faire : ces processus peuvent être – comme ceux et celles qui en ont fait l’expérience le savent bien – difficiles, exigeants et pas toujours réussis. Les auteurs·es sont modestes dans leur reconnaissance des convergences et divergences entre les anarchistes et les autres mouvements consacrés à la justice et aux changements sociaux, explorant ainsi comment l’enrichissement mutuel des idées est nécessaire. Par exemple, l’anarchisme permettrait de radicaliser le mouvement écologique et, inversement, davantage de préoccupations écologiques enrichiraient le mouvement anarchiste. En outre, les auteurs·es admettent que des tensions et des désaccords autour de nombreux enjeux subsisteront, mais le dialogue sera probablement plus ouvert et constructif dans le mouvement anarchiste que dans un mouvement où les valeurs et les normes ne sont pas fondées sur la solidarité et la réciprocité.

Plusieurs chapitres découlent de la recherche passionnante faite par le Collectif de recherche sur l’autonomie collective (CRAC) sur l’anarchisme contemporain au Québec. Cela permet l’émergence de thèmes communs parmi les multiples sites d’engagement anarchiste explorés par les auteurs·es (par exemple, les mouvements féministe et queer, écologiste, étudiant, pour le logement social, antiraciste, auto­chtone, antimondialiste, artistique, etc.). Cela favorise également l’inclusion de groupes qui peuvent ne pas se reconnaître comme anarchistes, mais qui travaillent néanmoins à partir de principes similaires. Et parce que les auteurs·es ont pris part, certains·es depuis plusieurs décennies, aux mouvements anarchistes locaux, le livre est bien plus qu’un manuel académique et il échappe au simple nombrilisme.

Pour ceux et celles qui travaillent aux changements révolutionnaires nécessaires aujourd’hui, cet ouvrage offre quelques exemples pertinents d’affrontements, d’alternatives et d’autres façons de vivre qui devraient stimuler l’imagination et donner un nouveau souffle aux actions.

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