Mégalomanie urbaine : la spoliation des espaces publics

No 11 - oct. / nov. 2005

Mark Douglas Lowes

Mégalomanie urbaine : la spoliation des espaces publics

lu par Christian Brouillard

Christian Brouillard

Mark Douglas Lowes, Mégalomanie urbaine : la spoliation des espaces publics, Écosociété, Montréal, 2005.

La ville décapitée

On assiste depuis quelques années, dans le sillage de l’omniprésente mondialisation capitaliste, à une transformation profonde des grands centres urbains, ces derniers se réduisant à ne plus être qu’un simple espace où se déploient évènements culturels et mégaprojets sportifs.

Selon Mark Douglas Lowes, dans son livre Mégalomanie urbaine, cette réduction de la ville à des fonctions spectaculaires s’est accompagnée d’une idéologie, celle des « villes internationales ». Dans cette vision, une grande ville ne peut se positionner dans la nouvelle économie-monde qu’en tentant d’attirer le plus possible les promoteurs d’événements culturels. Cependant, comme toute idéologie, on ne peut comprendre ce discours sans mettre au jour les facteurs économiques, politiques ou sociaux qui sont sous-jacents. C’est ainsi qu’en parallèle au processus de gentrification qui frappe les grands centres urbains et qui a pour effet de chasser les populations traditionnelles et pauvres des quartiers centraux, on assiste à une importante mutation économique, les fonctions proprement productives tendant à disparaître au profit d’activités culturelles, touristiques et symboliques. Les retombées de ces transformations se traduisent concrètement par l’expulsion des simples citadins et citadines au profit de classes plus aisées et de ces turbo-Bécassines dont parlait Gilles Châtelet dans Vivre et penser comme des porcs (Gallimard, 1999).

Face à ces changements économiques et sociaux, les autorités politiques des villes se sont adaptées, rentrant ainsi dans une course effrénée en vue d’attirer le plus possible la tenue de grands projets sportifs ou culturels internationaux. L’exemple de Paris en concurrence, entre autres, avec la ville de Londres pour l’organisation des Jeux olympiques de 2012 représente une illustration éloquente de cette chasse à l’événement. On sait ce qu’il est advenu de la candidature de Paris...

La rhétorique élaborée par les administrations municipales pour justifier auprès de la population l’organisation de ces spectacles, n’est pas très différente de celle avancée par l’ensemble des instances politiques au sujet de la mondialisation capitaliste : c’est inévitable, nécessaire et cela permet des retombées économiques appréciables. Dans un cas comme dans l’autre, comme le souligne Lowes, les faits ne semblent nullement confirmer ces pronostics... Par ailleurs, dans le cadre de l’organisation des grands évènements, les villes utilisent des espaces publics (terrains vacants, parcs, etc.) afin de les convertir en lieux privés dédiés à la consommation. Cette conversion d’espaces publics, ouverts, en lieux privés, clos, ne se fait pas cependant sans résistances. Lowes décrit ainsi en détails la mobilisation de résidants et résidantes de Vancouver contre la relocalisation du Molson Indy, une course automobile, dans un parc de leur quartier. Cette lutte a réussi, non sans difficultés, à faire reculer le promoteur sur ce projet et à contraindre la municipalité à poursuivre la démarche en vue de rendre le parc Hasting à l’ensemble de la communauté. Cet exemple d’une lutte locale victorieuse est instructive à plus d’un titre, ne serait-ce que parce qu’elle montre que les citadins-citadines ne sont pas encore totalement réduits à n’être que de simples consommateurs passifs face à la spectacularisation de leur espace, mais qu’ils peuvent aussi devenir des sujets politiques actifs dans les affaires de la Cité. À cet égard, la lecture de l’ouvrage de Mark Douglas Lowes est stimulante et espérons qu’elle suscitera, comme on disait autrefois, bien des « vocations ».

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