Dossier : Mutations de l’univers

Médias, politique et objectivité

Quand le « quatrième pouvoir » est pris à partie

Brian Myles

Le « Printemps érable » a entraîné une sérieuse remise en question des institutions au Québec, et les médias de masse n’y ont pas échappé. Sur la ligne de front des manifestations étudiantes, le « quatrième pouvoir » a été perçu bien naïvement comme le complice du pouvoir politique. Les raccourcis idéologiques pris par une frange de ce mouvement social, au demeurant pacifique et exemplaire dans son ensemble, ont ouvert la porte à des dérives inattendues dans une société pourtant démocratique.

Les journalistes des grands médias tels que Radio-Canada sont maintenant accompagnés d’agents de sécurité lors des manifestations. Les caméramans ont été suffisamment attaqués et bousculés pour qu’ils sentent l’urgence de protéger leurs arrières. Des collègues ont été chahutés, injuriés et visés par des projectiles des manifestants. Comble de la bêtise, il y a un de ces brillants esprits qui s’est soulagé sur un journaliste comme s’il s’agissait d’un vulgaire urinoir.

Leur crime ? Les journalistes qui ont assuré une couverture constante du conflit étudiant, presque à toute heure du jour, ont été trouvés coupables au tribunal de l’opinion populiste d’un manque d’objectivité.

L’objectivité est un vieux concept en journalisme, un idéal impossible à atteindre, car nul ne peut échapper à lui-même, son creuset d’appartenance, sa classe sociale. Ce concept exigeant et ambigu fut fort utile pour séparer l’univers du journalisme et du jaunisme dans la première moitié du XXe siècle. Avec le « maccarthysme » aux États-Unis, cette ignoble chasse aux sorcières communistes, les journalistes ont graduellement réalisé les limites de l’objectivité. Appliquée à la lettre, elle les relègue au rang de sténographes sans mémoire, incapable de la moindre remise en question, analyse ou interprétation puisqu’ils devraient se contenter de présenter les « deux côtés de la médaille ». Du coup, ils seraient condamnés à refléter la réalité sociale d’une manière déséquilibrée, les groupes et idéologies dominants ayant un plus grand accès aux médias de masse que leurs pendants minoritaires.

Le guide de déontologie de la FPJQ ne contient aucune référence à l’objectivité. Ce guide suivi par quelque 2 000 journalistes au Québec traite de rigueur, équité, véracité, impartialité, ce dernier point étant régulièrement perdu de vue par les « journalistes citoyens », dont le jugement est voilé par un militantisme aveugle.

Ce modèle, qui rallie les journalistes professionnels, accorde une grande place au journalisme interprétatif pour autant que subsiste une ligne de démarcation claire entre la couverture factuelle et d’opinion (ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas). Il autorise et encourage à douter méthodiquement de tout, à remettre en question les discours, pratiques, méthodes et stratégies des différentes pièces sur l’échiquier social, du roi au fou en passant par le pion ! Sans oublier la Reine et ses fidèles sujets.

Un contre-pouvoir nécessaire

Notre présence dérange. On nous traite de « carrés rouges » ou de « carrés verts », c’est selon. Ces reproches en disent souvent plus sur les a priori et les convictions de l’accusateur que sur ceux des journalistes. Notre présence dérange, mais elle est indissociable de l’idéal démocratique contemporain. En effet, il n’existe pas de société pleinement démocratique sans une presse libre, disposant des moyens et des effectifs pour accomplir son travail.

Dans l’univers numérique de la gratuité, on oublie trop souvent que l’information a un coût. Les journalistes sont arrivés avant les policiers sur cette vaste scène de crime qu’est la collusion. Pour parvenir à exposer ces réseaux occultes, des salles de rédaction courageuses ont mis leurs meilleurs recherchistes et journalistes sur le coup, ce qui implique un investissement massif de ressources humaines et financières. Les médias ont résisté aux poursuites civiles et aux menaces de poursuites pour accomplir leur travail. Sans les médias de masse, il n’y aurait tout simplement pas de commission Charbonneau... Et le Printemps érable ne serait qu’une note de bas de page dans les annales de 2012. Qui donc a donné cette visibilité sans précédent aux trois leaders étudiants, sinon les médias de masse ?

Aucune institution ne doit échapper à la critique, pas même les médias. Quand la critique débouche sur des appels à la censure, formulés sous le coup de la menace et de l’intimidation, il y a péril en la demeure. Il est de notre devoir à tous de permettre la dissidence et d’encourager la diversité des voix.

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