Les 16 thèses de Gilles Labelle

10 mars 2013

Les 16 thèses de Gilles Labelle

Jean-Marc Piotte

Gilles Labelle affirme dans les Nouveaux Cahiers du socialisme (no 9, 2013, p. 230-238) que le néolibéralisme reposerait sur le même fondement philosophique que la contre-culture : un sujet « entièrement libre », donc « absolument délié » à l’égard de l’histoire et de la société.

Le néolibéralisme est issu du département d’économie de l’Université de Chicago qui, sous l’égide de Milton Friedman, promeut la libération du marché des entraves de l’État providence, social ou keynésien. Cette théorie a d’abord été appliquée au Chili par Pinochet, puis en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher et enfin aux États-Unis par Ronald Reagan. Ce dernier pays dominant l’économie mondiale, le néolibéralisme s’étend alors comme une marée sur l’ensemble des pays. Remarquons que Labelle ne se réfère pas à ces données connues de tout étudiant en sciences sociales. Car, il devrait alors expliquer pourquoi Friedman, comme d’ailleurs Friedrich Hayek, Pinochet, Thatcher et Reagan, au lieu de partager la mouvance contre-culturelle, y étaient complètement opposés.

La contre-culture est née aux États-Unis dans les années 1960, donc bien avant que le néolibéralisme y sévit, et s’est incarnée au Québec dans la revue Mainmise durant les années 1970. En réaction au puritanisme chrétien qui prend sa source chez Saint Paul et Saint Augustin, ce mouvement de jeunes réclame le droit à la jouissance sexuelle indépendamment de l’institution du mariage et de la famille et sans subordination à la fonction de reproduction. C’est ce mouvement qui est à l’origine de la lutte des femmes pour le droit à l’avortement et celle des homosexuel.le.s contre leur discrimination. Encore ici monsieur Labelle n’analyse pas ce mouvement social dont certaines positions sont critiquables, préférant le cacher derrière Gilles Deleuze qui a obtenu un certain succès de librairie en 1970, en soutenant, avec Félix Guattari, une conception délirante du désir nomade.

Contre toute logique sociologique et historique, Gilles Labelle lie néolibéralisme à contre-culture. Il se justifie en se référant à Marx (Nouveaux Cahiers du socialisme oblige). Au lieu de s’accrocher aux basques de Marx, Gilles Labelle aurait dû reconnaître que son véritable maître à penser est Jean-Claude Michéa qui défend l’institution du mariage et de la famille traditionnelle contre la libération sexuelle engendrée en France par Mai 68. Il aurait alors pu nous expliquer comment sa position se différencie de celle de la droite chrétienne qui, au nom de ces mêmes institutions sacralisées, condamne la pilule, le condom, l’avortement, le féminisme, l’union libre, l’homosexualité, etc.

Labelle affirme appuyer les Indigné.es qui combattent le « capitalisme néolibéral mondialisé ». Il appuie aussi les Carrés rouges parce qu’ils et elles auraient défendu l’institution universitaire classique. Cet appui est apprécié, même si ses justifications sont faibles. Labelle se garde de se situer à l’égard de ses joyeuses, ludiques et imaginatives manifestations étudiantes dans lesquelles se révélaient les individualités modernes que masque le qualificatif d’individualiste asocial que les esprits chagrins leur attribuent. De plus, ses considérations philosophiques sur le « sujet délié » ne font qu’obscurcir ces mouvements sociaux en lutte contre certaines institutions.

Pour ma part, j’adhère entièrement à l’analyse concrète et lumineuse de la grève étudiante de Gabriel Nadeau-Dubois parue dans le même numéro des Nouveaux Cahiers du socialisme. Elle permet de la comprendre au lieu de l’ensevelir sous des considérations à prétention « philosophique ».

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