Le coût du capital

No 51 - oct. / nov. 2013

Économie

Le coût du capital

Philippe Hurteau

Dans l’univers du management, la tendance est au contrôle et au resserrement des coûts du travail. Au nom de la compétitivité des entreprises ou des États, une pression permanente s’est installée en visant toujours les mêmes – mauvaises – cibles : revoir à la baisse des niveaux de rémunération jugés exorbitants, défaire les filets de protection sociale à la charge des employeurs, flexibiliser les liens d’emploi, etc. Cette obstination masque pourtant une autre réalité, soit que l’un des principaux freins à la compétitivité des entre­prises des pays dits développés n’est pas tant un coût du travail trop élevé, mais bien le coût du capital.

Dans une récente étude réalisée par le Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSÉ) [1] et présentée dans le numéro de juillet du Monde diplo­matique, une équipe de chercheurs et chercheuses a étudié l’évolution de ce que l’on peut appeler le coût écono­mique et le coût financier de tout investissement, afin d’éclairer l’évolution du poids de la rente financière sur les économies avancées. Bien que l’étude s’intéresse spécifiquement au cas français, ses conclusions nous permettent de mieux comprendre la place grandissante que prend cette rente par rapport à l’économie productive.

Rente financière et ponction improductive

Présentés schématiquement, les résultats de l’étude vont comme suit. Le coût économique de l’investissement, c’est-à-dire ce qu’il en coûte à un investisseur afin de former le capital fixe nécessaire à toute production (machines, immeubles, usines, transports, matériels informatiques, terrains, etc.) représente approximativement 20 % de la production annuelle totale des entreprises. Toutefois, la formation de ce capital fixe nécessite également de passer par le secteur de la finance afin d’aller chercher les fonds pour l’achat des outils indispensables à la production. Ainsi, aux coûts de formation de ce capital fixe, il faut en ajouter d’autres : coûts d’intérêts, de dividendes, etc. Ces coûts supplémentaires se forment alors en rente financière, soit la ponction improductive exigée afin de rendre dispo­nibles des fonds pour les investissements.

Les institutions financières, qui ne participent pas directement à la production, parviennent ainsi à s’arroger une part de la richesse sociale en prêtant de l’argent qui, au final, ne leur appartient pas en propre, mais bien à leurs déposant·e·s. Les coûts d’intérêts et les dividendes se constituent donc en rente qui se forme à l’aide de l’épargne du grand public et des entreprises au détriment des activités économiques concrètes.

Une finance plus gourmande que jamais

Tout cela n’est pas vraiment nouveau. L’élément marquant de l’étude du CLERSÉ se situe plutôt dans l’échelle de grandeur qu’elle permet de nous donner. En France, pour 2011, les entreprises non financières ont investi pour 202,3 milliards d’euros en capital productif. De ce montant, les chercheurs et chercheuses du CLERSÉ sont parvenus à identifier 94,7 milliards d’euros comme étant le surcoût exigé par le secteur financier. C’est donc dire que dans l’ensemble des coûts productifs des entreprises françaises, une part de 46,8 % n’est pas direc­tement liée à la production, mais au paiement de la rente financière.

Il n’en fut pas toujours ainsi. Durant la période 1961-1981, le surcoût exigé en France par le capital financier s’élevait en moyenne à 13,8 %. Cette évolution spectaculaire indique en fait qui sont les véri­tables gagnants de la dérégulation économique survenue durant les dernières décennies. Force est de constater que nous nous éloignons toujours un peu plus du vieux projet keynésien « d’euthanasie du rentier », qui visait la disparition graduelle du pouvoir oppressif que confère au capitaliste la rareté du capital.

Le monopole financier, loin de trouver son niveau de rémunération à la hausse en raison d’une modification de son apport à la stimulation économique, solidifie son emprise en profitant de sa position d’intermédiaire obligé. C’est la place centrale occupée par le capital financier dans le circuit des échanges économiques qui lui donne sa force, son apport à la production, en termes réels, étant de plus en plus semblable au rôle du parasite que du facilitateur.

Il devient ainsi tout à fait envisageable de retour­ner le fardeau du « retard » de compétitivité des économies occidentales. Avec l’hégémonie qu’exerce la norme financière et son exigence de hauts rendements, un grand nombre d’initiatives économiques n’ont certainement pas pu voir le jour ou ont été forcées de fermer boutique, et ce, pas vraiment en raison de pressions venant des salaires « trop élevés » des salarié·e·s d’ici par rapport à ceux de la Chine ou de l’Inde, mais bien en raison du fardeau économique que représentent les surcoûts du capital.


[1Laurent Cordonnier, Thomas Dallary, Vincent Duwicquet, Jordan Melmiès et Franck Vandevelde, Le coût du capital et son surcoût : Sens de la notion, mesure et évolution, conséquences économiques, CLERSÉ, Lille, 2013.

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