Le budget carbone du Québec

No 53 - février / mars 2014

Économie

Le budget carbone du Québec

Philippe Hurteau

Tous les ans, dans les mois qui précèdent le dépôt des budgets gouvernementaux à Otta­wa et à Québec, nous avons l’habitude de revivre un psychodrame sur l’état de nos finan­ces publiques. Y aura-t-il ou n’y aura-t-il pas de déficit ? Est-il possible d’effectuer des compressions dans tel ou tel service de l’État ? Toutefois, jamais il n’est question de l’autre déficit que partage pourtant l’ensemble des pays « développés », soit le déficit carbone. Bon an mal an, le Québec se retrouve pourtant avec un déficit carbone de 11,3 mégatonnes de CO2, dans l’indifférence quasi générale.

Afin d’arriver à ce résultat, il faut établir le budget carbone de la province, soit la part d’émissions de gaz carbonique que le Québec peut rejeter dans l’atmosphère sans pour autant risquer de débalancer l’équilibre climatique de la planète. C’est précisément ce que Renaud Gignac, chercheur-associé à l’IRIS, a fait en fin d’année [1]. En se basant sur les travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), il est parvenu à définir quelle quantité de CO2 peut être émise sans dépasser la limite sécuritaire de réchauffement planétaire de 2 °C.

Un tel budget permet d’établir clairement quelles sont les limites que nous devons apprendre à respecter afin de minimiser les impacts des activités humaines sur l’évolution climatique du globe. En plus de considérations environnementales, il est également important de bien mesurer ces limites afin de pouvoir, dès maintenant, configurer une structure économique apte à s’y adapter.

La figure 1 synthétise les travaux du GIEC. Nous y voyons trois choses : d’abord les émissions de CO2 déjà réalisées entre 2000 et 2011, ensuite celles pouvant être réalisées durant l’ensemble du 21e siècle afin de respecter les limites de la planète, finalement les émissions correspondant aux réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel. En l’espace de 11 années, l’humanité a donc déjà « dépensé » 27 % du budget carbone total du siècle. S’il advenait que l’on utilise l’ensemble des réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel d’ici l’an 2100, ce budget sera grandement dépassé. Au rythme actuel, l’humanité sera en situation de déficit carbone pour le 21e siècle dès 2037.
L’environnement n’est pas soluble dans l’économie

Ces travaux de recherche nous aident à mieux comprendre le lien existant entre les activités humaines et les changements climatiques. Nos activités économiques, soit l’ensemble du cycle de production, de distribution et de consommation des biens et services utiles – ou inutiles – à nos vies, sont directement responsables de ces changements. Les recherches entourant le budget carbone peuvent alors nous permettre de mieux orienter nos choix collectifs.

Au Québec, par exemple, nous sommes dans une situation de déficit carbone annuel, à l’échelle du 21e siècle, depuis 2001. Au graphique 1, nous voyons clairement que les prévisions gouvernementales pour la décennie à venir, malgré le fait que le Québec se présente souvent comme un champion du développement durable, demeurent tout de même bien insuffisantes afin de respecter notre quota d’émissions permis par notre part de la démographie mondiale.

Dans ce contexte, lorsque le gouvernement québécois annonce des plans de développement économique pour l’avenir, ceux-ci devraient obligatoirement respecter le cadre de notre budget carbone. Il n’est pas question de se soumettre bêtement aux diktats d’un groupe d’experts auquel nous abdiquerions notre autonomie politique, mais bien d’apprendre à développer, dans l’univers souvent froid des politiques économiques, des stratégies de développement en phase avec les défis du siècle. En ce sens, le respect d’un budget carbone s’avère une voie intéressante pour l’avenir.


[1Renaud Gignac, Le budget carbone du Québec, Montréal, IRIS, 2013.

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