Le PQ et le reniement social-démocrate

No 0 - avril 2003

Le PQ et le reniement social-démocrate

Une entrevue avec Jacques B. Gélinas

Jacques B. Gélinas, Pierre Mouterde

Jacques B. Gélinas est un sociologue québécois bien connu des militants tiers-mondistes et de ceux et celles qui s’opposent à la mondialisation néolibérale. Il travaille actuellement sur un nouvel ouvrage traitant du virage à droite de la classe politique québécoise dans lequel il observe notamment l’évolution du Parti québécois vers le néolibéralisme. Nous l’avons rencontré.

Que penses-tu de cette affirmation reprise par beaucoup que le Parti québécois est un parti social-démocrate ?

En effet, la plupart des médias affirment qu’au Québec nous avons une scène politique bien « ventilée » et qu’on y trouve un parti de centre droit (le Parti libéral), un parti de droite ou d’extrême droite (l’ADQ) et qu’à gauche il y a le PQ.
Si on entend par social-démocratie, une option qui se propose de civiliser le capitalisme et qui tient compte jusqu’à un certain point des revendications ouvrières, on pourrait dire que le PQ a été social-démocrate. Dans le sens du modèle institué par Roosevelt dans les années 1930 : le « New Deal ». C’est l’avènement de l’État social qui tient compte des revendications sociales des classes moyennes et des classes populaires. René Lévesque ne voulait pas se dire social-démocrate. Il n’aimait pas ce mot là, même si le parti, c’est sûr, s’est bâti au départ sur un « préjugé favorable aux travailleurs ». Mais le Parti québécois a par la suite changé de cap. Cela s’est produit dans les année 1980, quand il se trouvait dans l’opposition. C’est alors qu’il s’est fait champion du libre-échange avec les États-Unis. Ce qui l’a conduit à endosser et à pratiquer des politiques proprement néolibérales quand il s’est trouvé au pouvoir.

Comment s’est imposée cette option « libre-échangiste », et quels sont les individus qui l’ont portée au sein du PQ ?

Il faut revenir à la période des négociations de l’Accord de libre-échange (ALÉ) entre le Canada et les USA. En 1985, le couple Mulroney-Reagan annonce de façon impromptue le lancement des négociations pour la signature d’un accord de libre-échange entre les deux pays. Tous les partis étaient contre, tant au Canada qu’au Québec. Une vive opposition s’organise contre un tel traité avec le puissant voisin que l’on sait hégémonique. On connaissait les politiques néolibérales de Reagan qui deviendraient contagieuses advenant un accord. À la surprise de tous, l’élite intellectuelle du Parti québécois prend fait et cause pour le libre-échange.
Bernard Landry, qui avait perdu son comté en 1985 et était devenu professeur d’économie internationale, commet un livre en 1987, intitulé : Le commerce sans frontières, le sens du libre-échange, dans lequel il se propose d’expliquer au peuple pourquoi le Québec doit appuyer ce projet. Il évoque deux raisons, l’une économique, l’autre politique. L’argument économique : un petit pays comme le Québec a besoin d’un grand marché garanti. L’argument politique : un traité de libre-échange avec les États-Unis mettra le Québec à l’abri de représailles commerciales ou économiques du Canada anglais à la suite d’une déclaration de souveraineté. Pendant tout le temps qu’a duré le débat, de 1985 à 1988, Bernard Landry est devenu le conférencier vedette du Conseil du patronat qui adhère corps et âme au projet de Mulroney.
Jacques Parizeau est aussi entré en campagne pour le libre-échange. Revenu aux affaires en mars 1988 en tant que président du Parti, il a réussi à convertir les instances du PQ à cette cause. Dans son livre Pour un Québec souverain, il écrit : « Avec l’aide hautement efficace de Bernard Landry, je réussis à faire effectuer un virage à 180 degrés au Parti québécois en faveur du libre échange ». À l’époque, il y a eu beaucoup de réticences dans le parti, car son programme allait directement à l’encontre de cette idée. N’oublions pas que le « libre-échange » version néolibérale des États-Unis, de Reagan à Bush, comprend trois éléments essentiels : déréglementation, privatisation et libéralisation. Pourquoi les Américains tenaient-ils tant à cet accord ainsi qu’à l’ALÉNA ? Ce n’était pas tant pour la libre circulation des biens et des marchandises que pour le libre investissement, la libre circulation des capitaux, et la commercialisation des services.

Comment ce virage libre-échangiste a-t-il conduit le PQ au néolibéralisme ? Quand et comment le PQ a-t-il pris ce second virage ?

Quand le PQ revient au pouvoir en 1994. Il y a d’abord, en 1995, le référendum et la démission de Parizeau ! En janvier 1996, Lucien Bouchard est couronné chef du parti et premier ministre. Il ne faut pas oublier que cet homme, parvenu en politique, est un conservateur, perméable aux idées de droite, et particulièrement sensible aux pressions des marchés financiers. Il a tout de suite lancé que le problème central, l’urgence des urgences, c’était la crise des finances publiques. Il impose sa politique du déficit zéro !

Mais en quoi le déficit zéro peut-il être considéré comme une pratique néolibérale ?

Tant au fédéral qu’au provincial, l’idéologie du déficit zéro a été le levier qui a permis de couper dans tous les programmes sociaux, dans l’environnement, etc. C’est l’institutionnalisation de coupures qui, une fois l’équilibre budgétaire atteint, ont pris une tournure définitive. Par ailleurs, le lobby du grand Patronat a convaincu le gouvernement que pour assurer la création d’emplois et la croissance économique, il fallait déréglementer, c’est-à-dire légiférer et réglementer le moins possible en matière sociale et environnementale. Cela nous renvoie à l’article 11 de l’ALÉNA : une loi ou une réglementation qui occasionne des pertes de profits pour une compagnie étrangère est considérée dans cet accord comme équivalent d’une expropriation. Ça les Américains y tenaient. La mise en place par Lucien Bouchard en 1996 du « Secrétariat à l’allégement réglementaire », qui est en fait un secrétariat à la déréglementation, est pratiquement passé inaperçu. En vertu de la loi instituant cet orga-nisme, tous les projets de loi et de règlement doivent passer au crible du Secrétariat avant d’atteindre le Conseil des ministres. Si le Secrétariat estime q’une loi ou un règlement, en matière de foresterie par exemple, nuira à la « profitabilité » d’une entreprise, le projet est retourné au ministre pour qu’il refasse ses devoirs. D’où l’apparition dans les écosystèmes et dans le tissu social du Québec de véritables plaies infectées par ces politiques néolibérales (voir encadré). Et c’est ce qui a mis beaucoup de Québécois en colère !

Tu verrais donc un rapport entre ces politiques néolibérales et l’actuel déclin du PQ ?

Oui, partout une colère sourde couve dans la population. Dans de nombreux domaines. Dans la santé par exemple et chez les infirmières qu’on a sanctionnées durement, alors qu’on laisse les spécialistes et les médecins se servir sans vergogne aussitôt qu’ils devinent les crédits disponibles. Dans le domaine de la forêt, de l’agriculture, de l’énergie, de l’eau. Le dé-peuplement des régions, le dépérissement des campagnes. En matière de déchets toxiques, le Québec est en voie de devenir la poubelle de l’Amérique du Nord. Le PQ a systématiquement ignoré les demandes et les protestations des citoyennes et des citoyens. En l’an 2000, les jeunes du parti ont voulu faire passer une motion qui déclarerait le PQ social-démocrate et par deux fois l’assemblée à rejeter la motion, pour ne pas déplaire au chef, à l’époque Lucien Bouchard. C’est comme si cette journée-là, le PQ avait perdu son âme, qu’un ressort s’était cassé. Mais voilà que sonné par l’ADQ, semble-t-il, Bernard Landry recouvre ses sens : il a avoué récemment que cela avait été une erreur que de rabrouer ainsi les jeunes qui essayaient de faire entendre raison aux bonzes du parti.

Ces derniers temps, on a l’impression que le PQ retrouve des accents sociaux-démocrates, et que de toute façon il apparaît moins néolibéral que l’ADQ.
Depuis la montée fulgurante de l’ADQ, le Parti québécois a eu un sursaut social-démo-crate. Depuis l’été dernier, le gouvernement s’est mis tout d’un coup à répondre à certaines revendications citoyennes par des annonces progressistes : contrôle des pesticides en zones urbaines, politique nationale de l’eau, moratoire sur les mégaporcheries, États généraux sur la réforme des institutions démocratiques, etc. Mais toutes ces annonces ressemblent drôlement à des promesses de type électoraliste. Les élections sont imminentes. Qu’est-ce qu’ils feront après ? Je ne pense pas qu’ils changeront fondamentalement de cap. Parce que une fois engagé dans l’engrenage du libre-échange et du néolibéralisme, c’est difficile d’en sortir. Notons en passant que beaucoup de députés et ministres font du néolibéralisme sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ! Nos ministres des Ressources naturelles, qui ont laissé les multinationales saccager nos forêts, se disent peut-être sociaux-démocrates, mais en fait ils font du néolibéralisme en refusant de mettre en place des réglementations nécessaires à la protection des écosystèmes, des droits sociaux, etc.

Dans ce contexte-là, que feras-tu aux prochaines élections ?

Je suis toujours autonomiste, souverainiste et indépendantiste. Mais je n’ai pas renouvelé mon adhésion au PQ depuis deux ans. Et je ne voterai pas non plus pour le PQ. Ça me fait de la peine, mais le PQ qui était porteur du projet souverainiste s’est laissé entraîner dans des stratégies qui lui ont fait renoncer au projet de société qui allait de pair avec le projet de souveraineté. Il a ainsi, peut-on dire, trahi la cause. Voilà pourquoi il a perdu l’appui d’une grande partie de ses bases sociales naturelles.


Comme les dix plaies de l’Égypte

Les dix plaies du néolibéralisme québécois vues par Jacques B. Gélinas

1) L’environnement livré aux pollueurs et aux prédateurs des biens communaux.

2) L’agriculture envahie par un productivisme industriel enragé qui dévaste les campagnes et remplit nos assiettes de pesticides, hormones et OGM.

3) L’eau douce contaminée, détournée et subrepticement donnée aux
multinationales comme Danone et Nestlé.

4) Nos forêts saccagées par les barons du papier et du deux-par-quatre.

5) L’énergie mercantilisée pour satisfaire la boulimie gouvernementale et les ambitions exportatrices des supermanagers d’Hydro-Québec.

6) Les régions périphériques en voie de dépeuplement et de dépérissement.

7) Les fusions municipales forcées au détriment de la démocratie, rendant plus facile la privatisation des services déjà dans le collimateur des multinationales.

8) Un système de santé malade sur la voie insidieuse de la privatisation.

9) Le creusement des inégalités qui crée de nouvelles catégories de pauvres comme les précaires, les marginaux, les sans-abri et autres désaffiliés.

10) L’économie casino-loto-vidéo poker organisée et aidée par le gouvernement.

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