No 42 - déc. 2011 / jan. 2012

Immigration

La peur de l’autre

Paul Bélanger

On discute aujourd’hui plus que jamais des politiques d’immigration. Les enjeux soulevés sont nombreux : démographique, économique, national, politique, culturel. Benoît Dubreuil et Guillaume Marois, dans leur livre paru récemment [1]., y voient un « remède imaginaire  » qui « ne sauvera pas le Québec  ». Voyons ça de plus près.

Les multiples enjeux de l’immigration

L’immigration c’est d’abord, au Québec, un enjeu démographique. Certains voient dans l’arrivée d’immigrants francophones ou disposés à apprendre la langue majoritaire un instrument nécessaire au rééquilibrage démographique. D’autres croient qu’il s’agit là d’un «  remède imaginaire  » au problème de la baisse du taux de fécondité au sein de la population francophone.

C’est aussi un enjeu économique. Les uns craignent que les immigrants viennent «  voler les jobs  », ou à tout le moins génèrent des coûts et des transferts financiers négatifs pour leur pays d’accueil, alors que d’autres, en particulier les entreprises en repositionnement stratégique, demandent de poursuivre et d’intensifier la politique d’immigration, mais à la condition que les candidats soient sélectionnés sur la base des métiers en demande.

C’est également un enjeu culturel et politique, celui du développement de l’identité nationale qui, pour les uns, doit se traduire en politique protectionniste voire de refus de la différence et, pour les autres, dans un projet continu d’intégration de la diversité.

C’est enfin évidement aussi un enjeu pour les populations qui arrivent au pays, pour les immigrants économiques qui cherchent à améliorer leur sort, pour les réfugiés politiques requérant un droit d’asile ou encore pour les familles en recherche légitime de réunification familiale.

C’est dans ce contexte général que le discours habile de la nouvelle droite sur l’immigration doit être scruté attentivement quant aux contradictions qu’il charrie, mais également quant au travail de sélection des données auquel celle-ci procède pour appuyer ses thèses.

Un discours qui en cache un autre

Je réfère ici plus particulièrement au livre de Benoit Dubreuil et Guillaume Marois, Le remède imaginaire. Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, publié chez Boréal en 2011.
L’argument central du livre est simple : ni l’économie ni la démographie ne justifient une hausse de l’immigration. Selon ces auteurs, une arrivée accrue ou maintenue d’immigrants ne résoudra ni le fardeau fiscal ni le problème de pénurie de main-d’œuvre.

Or, tout au long de ce livre, cet argumentaire économique et démographique sert surtout à soutenir, tout en la dissimulant, leur thèse principale : l’immigration actuelle réduit de facon durable le poids du français au Québec, défait sa composition historique et contribue profondément à angliciser le Montréal métropolitain.

Des omissions qui renversent la démonstration

Reprenons leurs arguments économique et démographique. S’en tenant à certains coûts immédiats de la pleine intégration des personnes immigrantes sur le marché du travail, Dubreuil et Marois entendent démontrer que l’immigration constitue, à terme, pour l’État québécois davantage une dépense qu’un apport financier. Les chiffres avancés ne sont pas faux, mais on oublie, outre la contribution économique immédiate des immigrants comme consommateurs et contribuables fiscaux, le coût de remplacement qu’ils représentent. En effet, le prix du « capital humain », pour reprendre le vocabulaire des auteurs, doit inclure le coût de l’alternative, c’est-à-dire le coût de conduire un enfant de sa naissance jusqu’à l’âge de 25 ou 30 ans où il est alors devenu une personne qualifiée, expérimentée et productive, ce que, par l’immigration, le Québec reçoit sans avoir défrayé le prix de son développement. On oublie également que le problème de l’intégration au marché du travail est pratiquement résolu dès l’obtention d’un premier emploi régulier, comme le montre bien l’efficacité du programme PRIIME (Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi), dont le budget est hélas si restreint qu’on préfère ne pas trop le publiciser.

Leur argumentation économique est courte. Plus encore, elle s’inscrit dans un schéma d’intervention néolibérale de l’État. Or, dans une telle perspective d’autorégulation par les forces du marché, l’immigration ne peut évidemment être avantageuse, ni pour une société comme le Québec ni pour les personnes immigrantes elles-mêmes, car dans ce cas les gouvernements freinent les politiques publiques nécessaires précisément à la réussite économique et sociale de l’immigration. Ainsi on réduit, comme c’est le cas depuis quelques années, les mesures actives d’intégration et d’apprentissage de la langue nationale, comme l’illustre la coupe opérée en 2010 dans les cours individuels de francisation. La phase d’intégration de la personne immigrante devient alors non seulement plus longue et donc plus onéreuse, mais aussi limitée dans sa dimension sociale et linguistique. Dans un contexte de politiques déficientes ou absentes, c’est évident que l’opération est et sera moins efficace. Il faut savoir que le taux de chômage des immigrants arrivés au pays depuis 2001 est quatre fois plus élevé que celui de la population née au pays. Ce qui est en jeu, ce n’est pas le trop grand nombre d’immigrants, mais la capacité limitée des mesures publiques d’intégration et, pire encore, les coupes drastiques dans les services. À quoi il faut ajouter un manque d’appui pour l’intégration des personnes immigrantes dans les communautés hors du Montréal métropolitain, et cela malgré le besoin économique et la démonstration de plusieurs réussites.

Quant à l’enjeu démographique, les auteurs affirment, certaines statistiques à l’appui, que l’âge moyen des arrivants est trop avancé pour faire une différence sur le vieillissement de la population. Ils oublient deux faits importants pour évaluer la situation. D’abord, que le taux de natalité ou de fécondité est significativement plus élevé dans la communauté immigrante que dans l’ensemble de la population. Ensuite que les statistiques nationales englobent tous les « natifs » dans une seule catégorie, ne permettant donc pas de rendre visible la part des naissances dues aux populations immigrantes et leur contribution démographique significative. Allez dans les écoles de la CSDM, vous verrez  !

Il en est de même de la reconnaissance des diplômes. Les politiques de reconnaissance des acquis et des compétences sont devenues, depuis une décennie, une mesure normalisée dans plusieurs ententes bilatérales et, à l’international, via l’UNESCO et le BIT. Or, Dubreuil et Marois mettent sérieusement en doute la possibilité de transfert des compétences professionnelles d’un contexte culturel à l’autre. Ils omettent du coup de dire que ce sont les réseaux professionnels qui, par corporatisme, bloquent une telle reconnaissance. La percée que le Québec vient de faire en ce domaine, avec la coopération de l’organisme CAMO-PI [2], dans certaines professions en santé et dans le secteur du bâtiment, montrent bien qu’une telle reconnaissance et un tel transfert sont faisables. Ce que ces auteurs taisent, peut-être par ignorance, c’est la mise en place à cette fin de services spécialisés dans les facultés universitaires d’ingénierie, dans les cégeps et dans les commissions scolaires, afin de reconnaître les qualifications acquises ailleurs et organiser au besoin des cours d’appoint ou de mise à jour. Une percée est même en voie de se faire dans certains comités sectoriels de main-d’œuvre, grâce à l’adoption de normes ou de profils professionnels qui permettent d’évaluer le niveau de compétences professionnelles des arrivants.

SVP de l’oxygène

Le livre de Dubreuil-Marois, célébré par Jean-François Lizée comme le « livre de la rentrée 2011 » et par Joseph Facal comme une des contributions les plus « sérieuses et salutaires  », est donc trompeur. Les auteurs s’appuient sur des chiffres ou faits certes exacts, mais ils omettent les autres données qui contredisent l’interprétation qu’ils tirent de leur démonstration empirique. Sous un discours d’apparence plus large, ils réduisent de fait l’enjeu de l’immigration et donc le débat à une seule dimension : l’enjeu linguistique. Même là, on sent leur peur d’un déclin, sinon plus fondamentalement la peur de la différence, la crainte des « Québécois de toutes origines ». Et cette peur les conduit à nier la construction d’une société bien sûr francophone, mais aussi plurielle. Une société incluant, dans sa population, une proportion multi-ethnique et plurilingue dans ses origines et qui le demeure en partie dans sa vie intime, mais francophone dans sa communication publique et communautaire ainsi que dans sa contri­bution à la construction de cette autre société francophone possible, ni pure laine ni « melting pot  », fondée sur la reconnaissance d’une charte commune des droits et donc sur l’égalité, mais aussi sur l’enrichissement interculturel.
À moins bien sûr, comme Dubreuil et Marois le proposent, que l’on veuille demeurer une petite société ! À moins de s’en tenir nostalgiquement au menu traditionnel «  bien de chez nous  » ! Oui, il faut « sauver le Québec », mais d’abord le sauver de ces projets qui nous recroquevillent. SVP de l’oxygène dans ce débat.


[1Benoît Dubreuil et Guillaume Marois, Le remède imaginaire. Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, Montréal, Boréal, 2011

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