La marche vers le Nord sans les Premières Nations

No 32 - déc. 2009 / jan. 2010

Autochtones

La marche vers le Nord sans les Premières Nations

Sylvie Vincent

Un an après son annonce par Jean Charest, la seule caractéristique certaine du « Plan Nord » est l’immensité du territoire ciblé. Ce « Plan » s’appliquerait à tout ce qui se trouve au nord du 49e parallèle, soit 70 % du Québec. Pour le reste, les observateurs remarquent que, depuis un an, le premier ministre reste vague et ambigu, y compris dans ses relations avec les Premières Nations.

C’est le 28 septembre 2008, au terme du conseil général du Parti libéral réuni à Lévis, que Jean Charest fait part officiellement et en grande pompe de sa « vision » pour le développement du Nord. Il en reparle pendant la campagne électorale, notamment à Sept-Îles, le 13 novembre. Le 10 mars 2009, c’est en tant que premier ministre réélu trois mois plus tôt qu’il annonce dans son discours inaugural à l’Assemblée nationale : « nous mettrons en œuvre le plus grand projet de développement durable jamais entrepris au Québec. Ce sera le Plan Nord. » Puis, au mois de mai, de nouveau devant le conseil général de son parti, alors que ses supporters viennent de le sacrer « grand bâtisseur » du Québec et l’ont inscrit dans la lignée des Godbout, Lesage et Bourassa, il revient sur le sujet et, insistant sur l’hydroélectricité, il affirme que le Québec va devenir la première puissance en matière d’énergies propres et renouvelables.

Le Nord comme nouvel Eldorado

Malgré l’absence d’un texte présentant de façon consistante ce rêve de développement, l’examen des annonces égrenées depuis quelques mois permettent d’en voir certains volets : hydroélectricité, énergie éolienne, récréotourisme, mais surtout industrie minière et, pour permettre ces activités, nouvelles infrastructures (routes et aéroports) ou amélioration de celles qui existent. Le tout, dit-on, dans un esprit de développement durable et de protection du patrimoine québécois, la main tendue vers les populations locales et les Autochtones et en faisant appel à la fibre identitaire québécoise (ce sont les descendants des coureurs de bois qui vont aller œuvrer dans ce territoire qu’il faut occuper avant que d’autres s’en chargent).

Même s’il ne semble pas renouveler le concept de développement, ce programme en emballe plusieurs : création d’emplois, retombées économiques pour certaines entreprises, accès enfin possible à ce territoire immense et magnifique, en bonne partie inconnu des Québécois, un territoire dont plus de 50 % seront protégés contre toute activité minière ou énergétique avec création de parcs nationaux, plantation de 100 millions d’arbres…

D’autres s’interrogent et s’inquiètent. Est-il vraiment nécessaire de pousser la machine hydroélectrique à ce point alors que, à moyen terme, la demande tant du Québec que des provinces et des états américains importateurs d’électricité est loin d’être assurée ? Et puis, une fois disciplinées les rivières de la Côte-Nord déjà ciblées (Romaine, Petit-Mécatina, Magpie), vers quels autres cours d’eau l’appétit vorace d’Hydro-Québec et du premier ministre se portera-t-il ? Bref, cette volonté de puissance n’est-elle pas plus destructrice que rentable ? Autre sujet d’inquiétude : comment le gouvernement va-t-il s’y prendre pour contrôler l’industrie minière dont la mainmise sur le Québec, dénoncée par le Vérificateur général, est de plus en plus étouffante ? Question d’autant plus cruciale que, dans la stratégie minière présentée en juillet, le gouvernement ne montre pas qu’il a l’intention d’exercer ce contrôle. Bref, le gouvernement actuel est-il en train de brader le Québec à des intérêts privés sous prétexte de crise économique ?

Les médias ont beaucoup insisté depuis un an sur l’aspect flou et improvisé du « Plan Nord », non pas plan (justement) organisé mais plutôt juxtaposition de projets anciens et nouveaux. Mais avant même de s’interroger sur le pourquoi et le comment de ce ballon d’essai afin de comprendre ce qu’il cache, c’est la question du lieu de son implantation qu’il faut poser. Car comment planifier quoi que ce soit sur un territoire qui n’est pas libre de droits ?

Informations et consultations insuffisantes

Or, au nord du 49e parallèle, on se trouve certes au Québec, mais aussi en plein territoires inuit, cri, naskapi, innu et dans la frange nord des territoires atikamekw et algonquin. À l’annonce du « Plan Nord », Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), a émis le souhait que Jean Charest profite de ce projet pour nouer avec les Premières Nations des relations plus respectueuses de leurs droits. Le premier ministre, de son côté, n’a cessé de dire qu’il y aurait dialogue avec les Premières Nations et que celles-ci seraient consultées.

Or, depuis plusieurs années, le chef de l’APNQL ne cesse de dénoncer l’absence d’écoute du premier ministre. Quant à la consultation sur le « Plan Nord », il semble bien que le processus amorcé ait connu jusqu’à présent plus de ratés que d’avancées positives. Si les chefs se disent ouverts à l’idée du développement, la plupart protestent contre le fait qu’ils n’ont pas été informés et encore moins consultés avant que ce « plan » n’ait été annoncé. Entre lassitude et colère, plusieurs ne croient pas à une consultation dont ils ne perçoivent ni l’existence ni l’intention réelle et ils disent refuser de se faire imposer quelque développement que ce soit sur leurs terres.

Le 13 octobre 2009, exit le « Plan Nord ». Nathalie Normandeau, ministre à laquelle Jean Charest a confié ce dossier au début de l’été, le fait discrètement s’éclipser au profit d’une démarche nouveau genre (Antoine Robitaille, Le Devoir, 14 octobre 2009). Par la même occasion, la consultation est remplacée par la mise en place d’une « Table de travail » qui a réuni, le 6 novembre, les « partenaires du Nord ». Parmi ceux-ci, des chefs des nations qui, dans les années 1970, ont signé avec les gouvernements des ententes leur reconnaissant certains droits (Cris, Inuits, Naskapis) et des chefs innus qui, ayant conclu une entente de principe en 2004, attendent l’entente finale. Mais cinq chefs, représentant environ 60 % des membres de la nation innue, ont boycotté la rencontre et dénoncé une planification qui se fait sur leurs terres alors que la question de leurs revendications territoriales est en suspens. Quant au contenu officiel du « Plan », après cette journée de concertation, il reste toujours à définir.

Jean Charest parle de faire reculer la frontière du Nord pour mieux construire le Québec. Ce « Plan » ne serait-il flou et mal ficelé qu’en apparence ? Le gouvernement ne l’a-t-il pas déjà mis en route, engageant ainsi le Québec dans 25 ans d’un développement non concerté ? La brusque révélation, le 29 octobre, du projet d’achat d’Énergie Nouveau-Brunswick par Hydro-Québec et, ainsi, de l’acquisition d’un accès supplémentaire au marché des États-Unis n’est-elle pas l’un des nouveaux signes que ce plan non formulé existe bel et bien ?

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