La faute à Fidel, de Julie Gavras

No 21 - oct. / nov. 2007

Cinéma

La faute à Fidel, de Julie Gavras

ou l’importance de la mauvaise humeur

Eve Martin Jalbert

On a dit que cette comédie intelligente énonçait, à travers le personnage de la fillette boudeuse dont l’univers est ébranlé par l’engagement politique de ses parents, une critique du militantisme gauchiste des années 1970. C’est de tout autre chose dont il s’agit, à notre avis.

Le regard que pose l’enfant sur le monde adulte a plusieurs fonctions ici comme dans plusieurs fictions cinématographiques ou littéraires : 1. repartir du début (« C’est quoi les communistes ? », « C’est quoi Mai 68 ? ») ; 2. remettre en cause les évidences (« Comment peux-tu savoir pour de sûr qu’aujourd’hui tu ne te trompes pas ? ») ; 3. soulever les questions les plus déroutantes (« Comment tu sais quand c’est l’esprit de groupe ou l’esprit de moutons de Panurge ? » ) ; 4. forcer les convictions à s’énoncer sous une forme simplifiée (« Les communistes, ils veulent tout : nos maisons, nos vignes, tes jouets » ; « Il y a ceux qui voudraient garder l’orange pour eux et ceux qui veulent la partager avec tous ») ; 5. obliger les motivations intimes à s’expliciter (« Pendant des années je n’ai rien fait pour ma sœur ») ; 6. ignorer certains interdits (« Il y a des choses qu’on ne doit pas dire ») ; 7. précipiter le heurt entre les différentes explications du monde et entre les explications du monde et la réalité, quitte à ce qu’on mélange tout (« Tu crois qu’il va nous faire la guerre nucléaire ? – Tu mélanges tout : ce sont les barbudos qui font la guerre nucléaire. Ils sont rouges et barbus. – C’est toi qui mélanges tout : c’est le Père Noël qui est rouge et barbu. ») ; 8. mettre à l’épreuve l’idée qu’on tente de se faire des choses (l’interprétation émancipatrice que fait Anna de La chèvre de monsieur Seguin de Daudet). En somme, l’enfant permet d’expliciter la manière dont se construit, tant bien que mal, le sens que l’on donne au monde et qui préside à nos actions. Cela n’a rien à voir avec la critique du gauchisme des années d’Allende, à moins de répéter cette évidence : que l’esprit critique et l’adhésion à certaines idées, loin d’être contradictoires, marchent main dans la main comme Anna en fuite avec son petit frère, François, dans les rues de Paris.

C’est bien cela que fait Anna dans sa mauvaise humeur et son petit coin à elle : tenter de se recréer une version du monde, où les choses tiennent dans une cohérence et une signification, quitte à tout reprendre depuis le commencement du monde – l’épisode qu’elle préfère entre tous. Ces fonctions s’inscrivent dans la quête de sens de l’enfant et dans sa révolte (qui sont identiques ici). Cette quête ne concerne pas seulement les consciences contemporaines qui refusent la sagesse désabusée qui, manifestement de bonne humeur, proclame la fin de l’histoire et des idéologies. Elle concerne surtout la façon, compliquée et déstabilisante, à mille lieux de l’endoctrinement, dont on se met en tête des idées qui nous incitent à accepter certaines choses et à en refuser d’autres. Cela pourrait s’appeler l’émancipation intellectuelle.

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