Dossier : Après-crise ou crise

Dossier : Après-crise ou crise permanente ?

L’économie solidaire d’abord

Nancy Neamtan

Face à notre système économique qui engendre des crises à répétition, l’économie solidaire offre un modèle stimulant, qui se base sur d’autres critères que celui de la rentabilité à tout prix. Mais il ne lui est pas toujours facile de prendre sa place dans un monde dominé par des oligopoles.

L’économie solidaire ou l’économie sociale et solidaire est un concept qui a émergé au cours des dernières décennies sur tous les continents. Dans certains pays, on la définit d’une manière large, incluant toute activité économique qui tente de concilier l’économique, le social et l’environnement. Dans d’autres pays, on insiste sur l’importance, voire la centralité, de l’autogestion ou d’autres formes de contrôle démocratique, ce qui exclut d’emblée des entreprises à propriété individuelle ou publique.

Au Québec, nous avons développé notre propre cadre conceptuel qui établit l’entreprise collective comme caractéristique fondamentale de l’économie sociale. Le mouvement de l’économie sociale souligne la place stratégique de ce secteur au sein d’une économie plurielle où se côtoient l’économie publique, collective et privée. Les ambitions de ce mouvement dépassent largement le développement d’un maximum d’entreprises coopératives, mutualistes ou associatives, car le but ultime est de contribuer à une démocratisation de l’économie et à l’émergence d’un nouveau modèle de développement, en collaboration avec un ensemble de mouvements sociaux et citoyens.

Revoir les fondements

Ainsi, l’économie sociale et solidaire s’appuie sur une logique économique qui se distingue dans les fondements mêmes de la logique économique dominante. Ses principes de base, ceux de la primauté des personnes sur le capital et la finalité de rendement à la communauté plutôt qu’aux actionnaires extérieurs, la placent dans une dynamique totalement opposée aux impératifs du modèle économique néolibéral. Car la financiarisation de l’économie mondiale, dans sa plus simple expression, produit un système par lequel ceux qui détiennent des capitaux déterminent où et comment le développement se déploiera. Les conséquences néfastes de cette logique, sur le plan social, environnemental et culturel, sont incalculables. L’économie solidaire se positionne en opposition à cette conception et vise une démocratisation de l’économie permettant à ceux et celles qui produisent ou vivent les impacts du développement de déterminer comment et à quoi doit servir le capital.

L’essor du mouvement de l’économie sociale et solidaire au cours des dernières décennies est le fruit d’une résistance populaire aux impacts négatifs de la globalisation des marchés et d’une recherche à travers l’action-terrain d’un autre modèle de développement. Des initiatives multiples et innovatrices foisonnent autant dans le Nord que dans le Sud. Des réseaux d’acteurs se sont créés aux niveaux local, national, continental et international. Certains gouvernements répondent positivement à ce mouvement par des politiques publiques favorables. Des instances internationales commencent à s’y intéresser, comme en témoigne la création en 2013 d’un groupe de travail interagences des Nations unies sur l’économie sociale et solidaire.

Un combat politique indispensable

Mais le mouvement de l’économie sociale et solidaire ne pourra jamais atteindre son plein potentiel tant que les lois et les accords qui régissent les économies nationales et l’économie mondiale ne seront pas modifiés. D’où l’importance de la dimension politique de ce mouvement, autant auprès des États-nations que des instances internationales, pour changer la logi­que économique à la base de leurs politiques publiques et des accords commerciaux.

Car, ici comme ailleurs, la majorité des politiques économiques sont conçues en fonction de l’impératif de « conquérir » des marchés exté­rieurs en soutenant les activités d’exportation et en favorisant la « compétitivité » sur le plan mondial. Par ce fait même, ces politiques disqualifient ou défavorisent le soutien à l’économie sociale et solidaire qui vise, en premier lieu, des finalités fort différentes : répondre aux besoins des collectivités locales, favoriser des circuits courts dans le domaine de la production et de la distribution et promouvoir des rapports égalitaires dans les échanges commerciaux entre pays, comme en témoignent les pratiques du commerce équitable.

Sur le plan international, la confrontation entre ces deux logiques économiques est exacerbée par les accords commerciaux en cours ou en négociation. À titre d’exemple, l’ouverture sans contrainte des marchés dans le domaine alimentaire est en contradiction directe avec les aspirations de souveraineté alimentaire, un élément fondamental de l’économie solidaire. Les marchés publics locaux et nationaux, attentifs uniquement à la compétitivité économique, sont vulnérables aux multinationales qui ont les moyens d’éliminer la « concurrence » que pourraient représenter des entreprises locales par des guerres de prix ou par des acquisitions et des fusions. Ces développements vont à l’encontre des aspirations d’une économie solidaire dans laquelle ce sont les citoyen·ne·s et les collectivités qui déterminent, dans une vision de développement durable, les modalités et les finalités de l’activité économique sur leur territoire.

Au Québec comme ailleurs, ces deux logiques économiques se confrontent tout autant sur le terrain pour déterminer les choix de développement. Le mouvement de l’économie solidaire se doit de renforcer ses alliances avec tous ceux et celles qui aspirent à un autre modèle de développement où la globalisation de la solidarité prime sur la globalisation des marchés.

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