Dossier : Mutations de l’univers

Journalisme et relations publiques

Qui raconte quelle histoire sur quelle plateforme ?

Chantal Francoeur

La journaliste souhaite raconter chaque jour une histoire d’intérêt public. Une histoire qu’elle a développée elle-même. Pour réaliser cette aspiration : fabriquer des reportages originaux d’intérêt public, la journaliste doit surmonter plusieurs obstacles. Celui qui nous préoccupe ici est l’industrie des relations publiques.

Le problème est posé. Il faut maintenant définir les termes.

Journaliste. Une personne dont la mission est d’alimenter les discussions communes sur la question : « Comment on fait pour continuer à vivre ensemble ? », dans l’esprit de ce qu’écrivait Louis Cornellier en 2005. Il parlait des quotidiens, mais on pourrait y inclure tous les médias d’information journalistique : «  Lire un quotidien, c’est refuser l’isolement et choisir le partage qui est toujours le premier pas vers cette solidarité sans laquelle l’humanité courrait à sa perte. […] Lire un quotidien, c’est porter le monde avec soi à cœur de jour [1]. »

Histoire. Un reportage journalistique, donc une « construction », basée sur des faits et sur une cueillette honnête d’information. L’objectif de la journaliste est d’être impartiale, équitable et ouverte d’esprit. Son objectif est aussi d’offrir une histoire qui soit une construction plus vraie que vraie, une construction qui accentuera la réalité. La journaliste faillit à la tâche chaque jour, pour toutes sortes de raisons. Le « bricolage » auquel elle arrive est le mieux qu’elle ait pu faire dans les circonstances : « On fait toujours des compromis », décrit un cadre de Radio-Canada [2]. N’empêche, chaque jour la journaliste va essayer de nouveau.

Intérêt public. Par opposition à intérêts privés, intérêts personnels ou particuliers.

Développer sa propre histoire. Non pas son histoire personnelle, moussant son ego de journaliste. Plutôt développer un reportage original. Pour ce faire, la journaliste veut prendre une distance critique face aux événements, aux faits, aux propos de ses sources, aux documents qu’elle consulte. Le code de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) dit, à l’article 2 : « Les journalistes basent leur travail sur des valeurs fondamentales telles que l’esprit critique qui leur impose de douter méthodiquement de tout. »

L’industrie des relations publiques. Dans l’esprit des journalistes, cette industrie est à l’opposé de leur mission. Bernard Miège décrit bien la différence entre l’information journalistique et les relations publiques : « La légitimité socio-politique des premières s’est construite en référence à quelques-unes des valeurs fondatrices et centrales des régimes politiques démocratiques ; quant aux secondes, elles sont toujours attachées aux phénomènes d’influence et de manipulation sociales [3]. »

L’autonomie du journalisme menacée

En résumé, la journaliste qui veut raconter chaque jour une histoire d’intérêt public, une histoire qu’elle a développée elle-même, souhaite, dans les mots d’un journaliste radio-canadien : « passer à autre chose qu’à un rôle de rapporteur de groupes organisés, qui savent très bien comment nous organiser, qui prennent des cours là-dessus – tous les groupes sociaux de Montréal savent comment jouer avec les médias, toutes les organisations économiques savent comment spinner du message aux médias. » Il faut, dit-il, « faire en sorte que nous ne soyons plus uniquement les rapporteurs des messages des organisations, qu’elles soient parlementaires, sociocommunautaires ou économiques. Revenir à la base de ce qu’est le journalisme [4]. »

Pas facile à atteindre, comme objectif. Parce que, explique un journaliste, « Faut pas se faire d’illusion. On vit dans un univers où on est en infériorité numérique grandissante. Le ratio relationnistes-journalistes est de plus en plus désavantageux pour le journaliste [5]. » Un reporter d’enquête du New York Times, David Barstow, dit la même chose : « Les muscles du journalisme s’atrophient alors que les muscles des relations publiques s’amplifient, comme s’ils étaient sur les stéroïdes [6]. » Cette infériorité numérique et cette différence dans la musculation ont un impact concret, notamment sur quelle histoire apparaît sur quelle plateforme des médias d’information.

La situation inquiète les journalistes. Selon le professeur Robert McChesney, « nous assistons au déclin du journalisme en même temps que la propagande et les relations publiques croissent ». Il ajoute : « Nous entrons dans une ère entièrement nouvelle, jamais vue avant [7]. » D’où l’insistance des journalistes à vouloir développer leurs propres histoires. Mais même s’ils le veulent, le peuvent-ils ? Quelle est leur marge de manœuvre ? Une des déclinaisons de la convergence serait-elle la convergence journalisme-relations publiques ? Une recherche menée en ce moment par le Centre Gricis de l’UQAM tente de répondre à ces questions.


[1Louis Cornellier, Lire le Québec au quotidien, Montréal, Éditions Varia, 2005, p. 159.

[2Chantal Francoeur, La transformation du service de l’information de Radio-Canada, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012.

[3Bernard Miège, La société conquise par la communication. Tome 2 : La communication entre l’industrie et l’espace public, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. Communication, Médias et Sociétés, 1997, p. 158.

[4Francoeur, op. cit.

[5Francoeur, op. cit.

[6John Sullivan, « PR Industry Fills Vaccuum Left by Shrinking Newsrooms », ProPublica.org, 2 mai 2011.

[7Ibid.

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