Histoire populaire des sciences

No 43 - février / mars 2012

Clifford D. Conner

Histoire populaire des sciences

Magaly Pirotte

Histoire populaire des sciences, Clifford D. Conner, Éditions L’Échappée, 2011, 560 p.

Dans la lignée des travaux d’Howard Zinn (Une histoire populaire des États-Unis), Clifford D. Conner revisite avec cet ouvrage l’histoire des sciences, qui ne se limite pas, même si elle est souvent présentée ainsi, à une série de découvertes révolution­naires effectuées par des cerveaux de génie, blancs, occidentaux, riches et masculins. Au fil des pages, il revalorise les savoirs développés par les artisans, guérisseuses, autochtones et peuples ma­rins qui traversaient le Pacifique bien avant l’invention de la cartographie et des outils de navigation, et bien avant Magellan.

Dans ce livre qui peut se lire comme un roman, ou se prendre par chapitre dans le désordre, on apprend entre autres que les Indiens exportèrent le système des chiffres positionnels et le zéro en Europe, et que l’écriture fut inventée par des cultivateurs et des artisans pour les besoins de leur comptabilité. Saviez-vous que la technique de la vaccination fut mise au point dans des tribus africaines ? Que la première césarienne fut réalisée par un castreur de porc ? Que les explorateurs et cartographes de l’Amérique du Nord kidnappaient des autochtones pour les forcer à livrer leurs connaissances géographiques ?

L’histoire des sciences est aussi une histoire de violence et de domination, d’appropriation des savoirs existants par certains « génies » aux comportements de bandits. Ainsi, beaucoup de « découvreurs » n’ont fait que retranscrire, organiser et regrouper des connaissances de leur époque, ce qu’ils admettaient d’ailleurs volontiers pour la plupart. C’est le cas des Grecs de l’Antiquité, dont on célèbre tant les découvertes encore de nos jours. L’histoire et leurs propres écrits nous apprennent pourtant que beaucoup de leurs savoirs ont été acquis auprès d’autres peuples, notamment les Égyptiens. Un exemple parmi tant d’autres : le théorème de Pythagore était connu par les mathématiciens de Babylone deux mille ans avant la naissance de celui qui lui a donné un nom.

Au-delà de l’anecdotique, le rétablissement de ces vérités historiques permet de nous questionner. Comment se fait-il que l’histoire des sciences se soit tant concentrée sur des personnages ou des civilisations qui auraient supposément tout inventé, occultant les contributions pourtant bien réelles et ma­jeures des autres ? Ou de la multitude des classes populaires qui ont, dans l’anonymat de leur vie quotidienne, participé à l’élaboration des sciences et techni­ques nécessaires à l’amélioration de leurs conditions de vie, par une accumulation d’expériences empiriques et délibérées ?

Conner nous démontre comment la façon dont on a remodelé l’histoire des sciences reflète nos valeurs en tant que société : l’élitisme, le classisme, le mépris du travail manuel, le sexisme, le racisme aussi, qui transparaît dans l’énergie investie par les historiens des sciences du XIXe siècle (notamment de l’école de Göttingen) à prouver que la majorité des découvertes scientifiques avaient été effectuées par des hommes blancs, ce qui permettait fort utilement de justifier leur domination sur le reste du monde.

Encore aujourd’hui, la manière dont la science se construit et se raconte en dit long sur notre modèle de société. Enfermée dans des officines d’experts, liée aux intérêts du capital et de l’État, la science est déconnectée des besoins réels des populations, qui sont chaque jour plus dépossédées des savoirs et savoir-faire artisanaux et populaires. N’est-ce pas à ce moment-là que les sciences et techniques libératrices et synonymes de progrès social se transforment en une tyrannie technologique qui nous aliène ?

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