Festival culturel militaire

No 47 - déc. 2012 / jan. 2013

Culture

Festival culturel militaire

La culture mutante

Amélie Nguyen

Du 31 août au 3 septembre dernier s’est tenu l’événement « Armée de culture : festival culturel militaire de Montréal » au Vieux-Port de Montréal. L’événement était notamment financé par le gouvernement du Canada et par son ministère des Anciens Combattants afin de commémorer le centenaire de la guerre de 1812. Ce festival contribue à établir une dangereuse ambiguïté du discours entre culture et culture militaire.

Selon l’UNESCO, la culture au sens large représente « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances  ».

La culture militaire est pour sa part un champ de recherche spécifique pour les théoriciens de la guerre. Elle se définit comme « un amalgame de valeurs, de coutumes, de traditions et de leurs bases philosophiques, qui crée avec le temps une façon de voir commune à toute l’institution. Cette culture engendre un cadre de référence commun chez ceux et celles qui portent l’uniforme et suscite des attentes communes en ce qui a trait aux normes de comportement, à la discipline, au travail en équipe, à la loyauté, au sens altruiste du devoir ainsi qu’aux coutumes qui appuient ces éléments. » [1]

La culture militaire est donc avant tout un attribut organisationnel permettant une plus grande « efficacité » de l’usage de la force au sens tactique, mais aussi moral dans le cadre de conflits et du fonctionnement de ses institutions.

La présentation du festival nous éclaire sur la fusion entre culture et culture militaire qui est encouragée par le gouvernement actuel. Le festival a ainsi « pour mission d’offrir au public montréalais l’occasion de prendre conscience de l’apport militaire à la culture générale passée, présente et future, en plus de souligner les différents événements historiques où des militaires canadiens ont joué un rôle important ». On souhaite donc réinterpréter l’histoire afin de faire valoir a posteriori l’influence des faits historiques militaires sur l’évolution de la culture canadienne, mais aussi celle de la culture militaire sur la culture générale canadienne.

Cette interprétation est appuyée par le fait qu’on observe actuellement une modification importante du discours sur la culture au ministère de la Défense nationale du Canada (MDN). Les rapports ministériels du MDN soulignaient auparavant que ses activités étaient influencées par «  les intérêts et valeurs canadiens  ». Le gouvernement faisait donc primer la culture (au sens large) sur la seule culture militaire. Depuis le rapport ministériel de 2011, le ministère affirme désormais que «  les Canadiens devraient valoriser le fait que leurs valeurs sont en partie forgées par leur armée  » [2]. On donne donc ici clairement une place et une influence plus grandes à la culture militaire sur la culture générale des Canadiens.

La place du militaire et le délaissement de la culture

Il faut rappeler que le gouvernement conservateur, avec sa stratégie de défense Le Canada d’abord, a donné priorité à la militarisation de sa politique étrangère afin de respecter son « engagement ferme de défendre le Canada », c’est-à-dire d’« assurer la sécurité de [ses] concitoyens, défendre [sa] souveraineté et faire en sorte que le Canada regagne, sur la scène internationale, sa crédibilité et son influence, tout en étant disposé à faire sa part  ». Il a ainsi annoncé un budget inégalé de 490 milliards de dollars entre 2007-2008 et 2027-2028, soit en moyenne 24,5 milliards par année.

Afin de renforcer l’appui du public à ces augmentations budgétaires au cours d’une période dite d’austérité, le gouvernement a de plus alloué un budget astronomique au patriotisme militaire. Par conséquent, les activités où le gouvernement promulgue la guerre à travers des commandites se font les plus diverses : événements culturels et sportifs ; présence dans les établissements d’enseignement ; cérémonies à grand déploiement ; création d’outils « accessibles et amusants » destinés aux enseignants du primaire et du secondaire. Toute une stratégie de communication autour de la guerre de 1812 a été mise en place par le MDN afin d’en faire faussement [3] l’un des moments fondateurs « de la Confédération [qui] a contribué à l’émergence du Canada en tant que nation indépendante en Amérique du Nord » [4]. À tout cela s’ajoute, depuis novembre 2011, le programme « Identité canadienne » lancé par le MDN afin que « les Canadiens soient conscients, comprennent et valorisent l’histoire, la compétence et les valeurs de l’armée canadienne comme faisant partie de l’identité canadienne ». Le MDN a consacré près de 354 M$ à ce seul programme.

En parallèle, on a bien vu, avec le dernier budget, que la culture (dans son sens usuel) n’était pas la priorité du gouvernement. En mars 2012, 191 M$ ont ainsi été coupés à Patrimoine Canada pour la période allant de 2012-2013 à 2014-2015. Radio-Canada, Téléfilm Canada et l’Office national du film y ont tous trois perdu 10 % de leur financement au cours de la première année ou sur trois ans. Ainsi, on assiste d’une part à une augmentation sans précédent du financement du militarisme et de sa promotion, alors que, d’autre part, le désengagement dans la culture est on peut plus clair.

De l’attrait de la culture militaire…

Parmi les valeurs qui pourraient être les piliers de la culture militaire, on note « la discipline », « le courage » et « l’esprit de corps » [5]. Ces valeurs ne sont pas nécessairement mauvaises en elles-mêmes et dépendent certes de leur interprétation et de leur application. Or, en ces temps de musellement des voix critiques et de centralisation du pouvoir de prise de décision au niveau fédéral, la volonté d’une plus grande influence de l’armée, de ses valeurs et faits militaires, sur la culture de la population semble bien obéir à une option stratégique réactionnaire.

Dans un moment de pouvoir, on peut croire que le gouvernement réinterprète l’histoire, réoriente son budget et modifie profondément le sens donné à la culture de manière à façonner une population ordonnée et docile, plus rassurante pour un gouvernement centralisateur qui craint la contestation.


[1Rapport du Center for Strategic and International Studies, American Military Culture in the Twenty-First Century, The CSIS Press Washington, février 2000, Executive Summary, p. xviii, cité dans : Colonel M.D. Capstick, « Military Ethos : Defining the Culture : the Canadian Army in the 21st Century  », Revue militaire canadienne, printemps 2003. [http://www.journal.forces.gc.ca/vo4/no1/military-militair-eng.asp

[2Carl Meyer, « DND : Military’s "values" shape "Canada’s identity" », Embassy Magazine, 23 Novembre 2011.

[3Voir par exemple Josée Boileau, « Guerre de 1812 – Refaire l’histoire », Le Devoir, 19 juin 2012.

[4Site du ministère de la Défense nationale. [http://www.forces.gc.ca/

[5Op. cit., Colonel M.D. Capstick.

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