Dossier : Impérialisme canadien

Le partenariat de sécurité et de prospérité

Diplomatie patronale

par Claude Vaillancourt

Claude Vaillancourt

En mars 2005, tout ne tournait pas rond entre le Canada et les États-Unis, car sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement canadien se comportait en bien piètre allié. Notre pays avait refusé de s’impliquer (du moins publiquement) dans la guerre en Irak et avait officiellement renoncé à collaborer à un utopique et coûteux projet de bouclier antimissile.

Il fallait donc trouver le moyen de renforcer une alliance qui permettrait de satisfaire les exigences des États-Unis, obsédés par la question de la sécurité depuis le 11-Septembre, sans provoquer de réaction trop vive dans la population canadienne. La solution : la conclusion d’un Partenariat sur la sécurité et la prospérité.

L’entente a été annoncée le 23 mars 2005 lors d’une rencontre entre George W. Bush, Paul Martin et Vicente Fox à Waco, Texas, rencontre qui coïncidait avec les dix ans de l’ALÉNA. Le projet a été présenté de façon à éviter de créer des vagues. Il permettra en principe de poursuivre les liens commerciaux entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, tout en assurant plus de « sécurité » à l’ensemble des populations d’Amérique du Nord. La sécurité, selon le discours officiel, ne concerne pas uniquement la lutte contre le terrorisme. L’accord prévoit par exemple une « biostratégie commune pour la prévention et le contrôle des menaces à la santé, l’alimentation et l’agriculture. » [1]

On y retrouve donc, une fois de plus, comme dans la quasi totalité des accords de ce genre, les bonnes intentions qui ne leurrent plus les citoyens, lesquels ont l’habitude de scruter la langue de bois des gouvernants. Il faut remonter aux sources de l’accord pour en comprendre ses véritables implications.

L’apport des patrons

L’accord s’inspire d’abord de la National Security Strategy of the United States of America, mieux connue sous le nom de « Doctrine Bush ». Ce document a orienté l’essentiel de la politique extérieure états-unienne depuis quelques années, et semble parfois caricatural tant les problèmes mondiaux y sont simplifiés. Il établit surtout ce lien fondamental entre la suprématie militaire des États-Unis et l’expansion globale du libre-échange. Cette association se trouve clairement établie dans le nouveau partenariat nord-américain : la sécurité sera assurée par une armée puissante, bien financée, et la prospérité par un commerce déréglementé et des frontières qui n’entravent pas la circulation des biens et services.

La doctrine Bush a pu profiter du soutien du Conseil canadien des chefs d’entreprises (CCCE) et de son président Tom D’Aquino. Le CCCE a en effet lancé une stratégie s’appuyant sur une série de propositions concrètes. On suggérait entre autres de : « réinventer les frontières », c’est-à-dire de concevoir des frontières « ouvertes au commerce et fermées au terrorisme », d’assurer la circulation des ressources naturelles et de voir à ce que le Canada accomplisse ses « obligations » militaires, après « une trop longue période de négligence. » [2]

On pourrait s’interroger sur la nature de ces propositions, sur la compétence des patrons à se prononcer sur des questions stratégiques et militaires, sur leur motif à appuyer à leur façon la doctrine Bush, pourtant tellement décriée partout dans le monde. La parole du patronat a du poids, indubitablement ; il ne faut pas se surprendre que son Initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité, lancée en janvier 2003, ait fait figure d’oracle.

En mars dernier, la rencontre de Cancún entre George W. Bush, Stephen Harper et Vicente Fox – que l’on nomme désormais « les trois amigos » – a permis de donner plus de corps au Partenariat. Les sujets abordés ont été très proches de ceux suggérés par le patronat canadien : frontière « intelligente » entre les trois pays, développement de la compétitivité et lutte contre le terrorisme. La déclaration conjointe des chefs aligne une fois de plus les phrases rassurantes et consensuelles. Mais les observateurs avertis ont plusieurs raisons de s’inquiéter.

Un processus occulte

D’abord on peut se demander comment le Canada et le Mexique, liés par ce Partenariat, pourront-ils élaborer une politique étrangère autonome. Plusieurs observateurs ont signalé à quel point le Canada et le Mexique étaient peu menacés par le terrorisme [3]. Selon Dorval Brunelle, ils doivent ainsi « pourvoir à une menace à la sécurité d’un pays tiers, une menace dont ils ne sont pas en mesure d’évaluer le contenu, tandis qu’ils doivent sanctionner, pour atténuer la menace en question, des moyens dont ils ne sont pas en mesure d’évaluer la pertinence ni l’efficacité. » [4]

De plus, la rencontre de Cancún a permis de créer un Conseil nord-américain de la compétitivité, formé de 30 représentants du milieu des affaires (10 de chaque pays), chargé de «  formuler aux gouvernements des mandats sur les grands dossiers ». Plus de doute : les hommes d’affaires dicteront bel et bien leurs politiques aux élus, par une voie privilégiée et reconnue, au détriment sans aucun doute des préoccupations sociales et de l’environnement.

Le nouveau partenariat aura aussi comme conséquence d’intégrer davantage l’économie du Canada dans celle des États-Unis, ce qui provoquera encore une fois une grande perte d’autonomie. Selon le Réseau québécois sur l’intégration continentale, le partenariat prévoit « un échéancier en vue d’en arriver à des normes harmonisées dans les secteurs régissant la santé, la sécurité alimentaire et l’environnement ». Il est difficile de croire que ces normes seront déterminées dans une relation transparente et dans un rapport égalitaire entre les trois « partenaires »...

Le plus inquiétant demeure d’ailleurs le manque de transparence de la mise en application du Partenariat et le peu de commentaires sur ses conséquences. Comme le souligne encore Dorval Brunelle, «  la rencontre de Cancún a été un jalon important dans la constitution d’une communauté nord-américaine qui demeure, pour le moment, un processus occulte, fort éloigné des préoccupations des parlementaires, des médias, des citoyens. » [5]

Les trois chefs d’État se réuniront au Canada en 2007, afin de faire avancer le dossier. Espérons que nous serons nombreux à leur demander des comptes et des actions en faveur de tous les citoyennes.


[1D’après Radio-Canada. Non, il ne s’agit pas ici de bannir les OGM…

[3Les récentes arrestations de présumés terroristes islamistes à Toronto, lesquels étaient bien « conseillés » par un agent infiltré du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), à l’ambition démesurée et qui arrivaient drôlement à point, n’ont pas convaincu tous les Canadiennes qu’un danger imminent les menaçait.

[4Sur le site de l’Observatoire des Amériques, http://www.ameriques.uqam.ca

[5Ibid.

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