Chili 1973-2013

No 51 - oct. / nov. 2013

11 septembre

Chili 1973-2013

Quarante ans de luttes pour la démocratie

Ricardo Peñafiel

Il y a 40 ans, le 11 septembre 1973, une junte militaire dirigée par le général Augusto Pinochet, appuyée par la bourgeoisie nationale et l’administration états-unienne, renversait dans le sang le gouvernement élu de Salvador Allende. Débutait alors une féroce dictature, qui a assassiné ou fait disparaître plus de 3 200 personnes, en a détenu plus de 500 000, en a torturé plus de 38 000, et a transformé le pays en un vaste camp de discipline visant à imposer une nouvelle société néolibérale.

Davantage que d’interrompre un gouvernement démocratiquement élu, la dictature militaire de Pinochet a voulu mettre un terme à un processus révolutionnaire qui a fait participer activement des millions de personnes à la vie politique et sociale. D’où l’ampleur du terrorisme d’État visant à inculquer la peur de l’action collective à une population qui avait pris en main son destin.

Pendant les quarante années qui nous séparent du coup d’État du 11 septembre 1973, ces personnes, ou leurs enfants, n’ont jamais cessé de lutter pour récupérer la démocratie confisquée. Non seulement le droit de vote mais la démocratie comme telle, c’est-à-dire cette capacité du peuple à statuer sur son devenir.

Après avoir défendu « la vie » contre le régime de terreur (avec l’appui du Vicariat de la solidarité et des organisations de défense des droits humains), les Chilien-e-s ont pris d’assaut la rue, en mai 1983, pour exiger le retour de la démocratie lors des Protestas (journées de protestation nationale). Par centaines de milliers, mois après mois, les barricades, occupations et autres gestes de désobéissance civile ont mis en échec l’ordre militarisé.

Face à un pays devenu ingouvernable, le régime dictatorial s’est vu forcé de négocier. Pourtant, les élites politiques de l’opposition – se prétendant les représentants officiels du mécontentement populaire – ont pris en main la situation et c’est finalement sous la forme d’une transition pactisée avec la dictature que s’est effectué le laborieux retour des institutions représentatives. Dans ce « pacte entre élites modérées », on a préservé le caractère autoritaire des institutions au détriment des aspirations démocratiques qui s’exprimaient dans la rue. On a traité comme des terroristes ceux qui luttaient pour la démocratie, en même temps qu’on instaurait l’amnistie pour les tortionnaires, sous prétexte de préserver la paix sociale et la réconciliation. On a également maintenu en place la Constitution pinochétiste qui régit encore aujourd’hui les institutions politiques du pays, on a laissé Pinochet à la tête de l’armée et on lui a aménagé un poste de Sénateur à vie (jusqu’à ce que son arrestation à Londres vienne remettre en question ces « accommodements »), on a maintenu en place les réformes néolibérales qui laissaient la population sans défense face aux dictats du marché, et on a mis en place une « démocratie autoritaire » qui refuse de reconnaître au grand nombre le droit à avoir des droits et la capacité de se gouverner.

Loin de se satisfaire de cette « démocratie de basse intensité » le peuple chilien a poursuivi ses luttes, s’adaptant aux contextes changeants. Les associations de parents ou d’enfants des détenus disparus ont continué à se battre pour la justice et contre l’amnistie des bourreaux. Les organisations ouvrières ont tâché de récupérer ou de conquérir des droits quotidiennement bafoués par une « démocratie de marché » confondant la liberté avec la libre entreprise. Les organisations autochtones, comme celles des Mapuches, ainsi que des organisations de citoyen-ne-s (subissant une répression démesurée, dans le cadre de la Loi antiterroriste héritée de la dictature mais maintenue par les gouvernements élus de la post-dictature) ont résisté à la spoliation de leurs droits et à l’occupation de leurs terres par des compagnies minières, forestières ou d’hydroélectricité. Les étudiant-e-s se sont battus et luttent encore pour l’accès à une éducation gratuite, publique et de qualité, en opposition frontale avec le système éducationnel néolibéral actuel, renforçant la ségrégation sociale. Les Pobladores (habitants de quartiers marginaux) ne cessent d’occuper des terrains ou des édifices pour défendre leur droit au logement et leur capacité à contrôler leur milieu de vie.

Et ainsi de suite, depuis quarante ans, des millions de personnes luttent pour récupérer une démocratie à-venir, qui n’arrive jamais mais qui existe à travers les incessantes insurrections de ces insubordonné-e-s. À quarante ans d’un ignoble coup d’État, ce n’est pas tant l’horreur de la dictature ou la trahison des « démocrates encravatés » que nous voulons commémorer, mais l’inspirant exemple de toutes ces personnes qui font vivre la démocratie.

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